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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Antonio d’Andrès va porter un nouveau coup à la doctrine péripatéticienne des catégories en rapprochant la forme substantielle de la forme accidentelle.

Tout en accordant des degrés aux formes accidentelles, les prédécesseurs de notre franciscain avaient eu soin d’en refuser aux formes substantielles. Du feu, pensaient-ils, n’est pas plus ou moins feu ; il l’est tout à fait ou pas du tout ; la forme ignée ne saurait donc être plus ou moins intense.

Antonio d’Andrès n’hésite pas à rejeter cette proposition. « Toute forme substantielle naturelle, dit-il[1], a des degrés intrinsèques et essentiels grâce auxquels elle est susceptible de plus ou de moins, ainsi que de division intrinsèque. — Secunda conclusio sit ista : Forma substantialis naturalis habet gradus intrinsecos essentiales secundum quos suscipit magis et minus et intrinsecam divisionem. »

De cette vérité, la démonstration est bien simple. Un même corps qu’en des temps différents, on approche de même de feux différents, en reçoit une chaleur tantôt plus intense et tantôt moins intense ; c’est donc que la cause de cette chaleur, qui est la forme substantielle du feu, est plus intense dans un feu individuel que dans un autre.

Ainsi donc « Aristote[2], au livre des Prédicaments, et l’Auteur des Six principes disent bien expressément qu’en la substance, il n’y a ni plus ni moins. Mais les raisons qu’ils en donnent ne contraignent pas. Sed istæ rationes non cogunt ».

De cette conclusion antipéripatéticienne, se tire un autre corollaire non moins contraire à la Physique du Stagirite[3] : « La production d’une forme substantielle engendrée par voie naturelle est successive », et non pas instantanée. En d’autres termes, la génération est un mouvement qui admet une vitesse.

À cette doctrine qui attribue une intensité et des degrés à la forme substantielle, qui l’assimile donc à la forme accidentelle, Antonio d’Andrès, qui la savait neuve et audacieuse, attachait certainement une grande importance. Aussi la reprend-il dans une de ses questions sur la Métaphysique d’Aristote[4]. Il en donne

  1. Antonii Andreae Op. laud., Secundus articulus principalis. Secundo, utrum productio formæ subtantialis nuturaliter generatæ mensuretur aliqua divisibili natura. Quantum ad secundum. Éd. cit., fol. sign. fi, col. d, et fol. sign. fij, col. a.
  2. Antonio d’Andrès, loc. cit. ; éd. cit., fol. sign. fiij, col. 6.
  3. Antonio d’Andrès, loc. cit. ; éd. cit., fol. sign. fiig, col. d.
  4. Questiones Antonii Andreae super duodecim libros metaphysice cum quampluribus utilissimis annotationibus noviter diligentissme castigale. — Colophon : Expliciunt questiones subtilissime super 12 libris metaph. Arist. excellentissimi