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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

étant laissées de côté ; ces deux degrés, en effet, sont d’une même nature. »

C’est l’inspiration de François de Mayronnes qui transparaît clairement ici ; mais Antonio d’Andrès accentue l’intention de son maître ; ce n’est plus à un continu géométrique qu’il compare une forme qualitative ; c’est à une masse physique homogène ; de plus en plus, la notion de quantitas virtutis se rapproche de la notion de quantitas molis.

« Mais deux choses ne sauraient faire une troisième chose une par elle-même, si l’une de ces deux choses n’est en acte et l’autre en puissance. » Comment donc sauvegarderons-nous ici ce principe essentiel de Physique péripatéticienne ?

« On peut répondre, d’une première manière, que la forme considérée est en puissance de ces degrés. D’une autre façon, on peut dire qu’un degré est en puissance de l’autre. Que ce soit comme ceci ou comme cela, de ces deux degrés se pourra faire une chose une… Un degré n’est pas, à la vérité, en puissance objective de l’autre », comme la matière est en puissance de la forme, « mais il est, à son égard, en puissance de conjonction (in potentia conjunctiva) ; et cette puissance suffit pour que les deux degrés puissent composer une chose une. »

L’auteur qui a écrit ces lignes avait sans doute lu François de la Marche.

Parlons, pour terminer, de cette objection[1] que les tenants de la théorie de Middlelon s’entendaient souvent opposer ;

« Deux degrés d’égale perfection ne peuvent, par leur union, donner une forme plus intense, de même que deux corps tièdes ne composent pas un corps plus chaud. »

À cette objection, Antonio d’Andrès répond comme avait répondu Jean de Bassols :

« La raison en est que chacune des deux tiédeurs a un sujet distinct ; mais si la tiédeur de l’un de ces sujets était ajoutée à la tiédeur de l’autre, elle deviendrait plus intense. »

Des chaleurs ou des blancheurs peuvent s’ajouter entre elles pour donner une chaleur plus intense, une blancheur plus éclatante, comme des masses d’eau s’ajoutent pour donner une masse d’eau plus grande ; entre la quantitas molis et la quantitas virtutis, la Physique franciscaine efface toute démarcation,

On voit ainsi, au grand scandale de l’Aristotélisme, la catégorie de la qualité se fondre peu à peu dans la catégorie de la quantité.

  1. Antonio d’Andrès, loc. cit., quantum ad tertium dubium ; éd. cit., quatrième fol. après le fol. sign. giiij, col. a.