Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

On peut imaginer que l’on subdivise indéfiniment un volume d’un pied cube abstrait de toute matière ; on peut concevoir également que l’on divise à l’infini la matière qui occupe le volume d’un pied cube, mais à la condition que l’on ne s’inquiète pas de savoir si cette matière garde toujours telle nature déterminée, si, par exemple, elle demeure toujours de l’eau ; mais si on prend un pied cube d’eau et si l’on prétend le subdiviser en l’astreignant à garder toujours la même nature, à demeurer toujours de l’eau, on ne pourra pousser indéfiniment cette division ; la matière que l’on divise cessera, à un certain moment d’être de l’eau ; elle se transformera en quelque autre substance.

« À proprement parler, donc[1], la division continue répugne à la grandeur naturelle non pas purement et simplement parce qu’elle est naturelle ; mais elle répugne à la grandeur naturelle, en tant qu’elle existe sous telle ou telle espèce ; c’est pourquoi on peut assigner un minimum de chair et un minimum d’eau… Si la division à l’infini répugne aux choses naturelles, c’est qu’elle répugne à la forme spécifique… Divisio autem in infinitum, si repugnat rebus naturalibus per se loquendo, repugnat formæ speciei. »

Gilles de Rome ne s’est pas contenté de traiter du minimum naturel dans ses commentaires à la Physique d’Aristote. En une de ses questions sur le De generatione et corruptione[2], il rappelle l’existence de ce minimum de nature, existence qui ne contredit pas à la division à l’infini du continu mathématique.

À ce propos, Gilles reprend l’étrange affirmation de Saint Thomas : On peut diviser à l’infini un corps en parties inégales dont la grandeur diminue en progression géométrique ; mais on ne peut le diviser à l’infini en parties égales ; seulement, par parties égales, il entend des parties de grandeur donnée, des parties qui seraient toutes, par exemple, égales à un grain de mil ; c’est remplacer une absurdité par un truisme.

Gilles trouve encore, en mie de ses discussions quodlibetique[3],

  1. Ægidii Romani op. laud., lib. VI, lectio IV, text. comm. 15, dub. 1a et 3a ; éd. cit., fol. 121, col. d.
  2. Egidus cum mabsilio et alberto de generatione… Colophon : Impressum venetiis mandato ex expensis Nobilis viri Luceantonij de giunta florentini. Anno domini 1518 die 12 mensi Februarii. — Questiones super primo de generatione fundatissimi doctoris domini Egidii ordinis fratrum Heremitatus sancti Augustini. Quæst. X : Utrum corpus continuum sit dhisibile in infinitum ; fol. 56, col. a.
  3. Quodlibet domini Egidii Romani. Theoremata eiusdem de corpore christi. Guliermus ocham de sacramento altaris. Cum privilegio. Colophon : Impressum Venetiis per Simonem de Lucre : Impensis domini Andree Torresani de Asula. 18 Januarii 1502. Quodlibet IV, quœst VI, fol. 44, Coll. b et c.