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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

Elle est admise, en particulier, par François de la Marche, qui semble s’inspirer de François de Mayronnes.

Nous avons entendu François de la Marche exposer le système au gré duquel l’accroissement d’une forme, tant quantitative que qualitative, se ferait par continuelle destruction de la forme préexistante et par continuelle innovation d’une forme plus parfaite. Ce système, François le repousse. Après avoir parlé de l’augmentation quantitative, il ajoute[1] :

« Je dis de même au sujet de l’accroissement de la qualité ; la forme préexistante demeure tout entière, et d’elle, rien n’est détruit par l’avènement qui suit. »

Notre auteur se demande alors[2] « si c’est par son essence qu’une forme accidentelle est accrue ».

« Je commencerai, dit-il, par exclure trois façons de répondre ; puis, je répondrai d’autre manière.

» En ce qui concerne mon premier objet, voici une première façon de répondre :

» La forme ne devient pas plus intense ou moins intense, quant à son essence, mais seulement quant à son existence dans autrui (inesse), c’est-à-dire quand à l’existence qu’elle a dans le sujet ; il n’y a donc, pour les formes, de plus ou de moins que par comparaison à leur sujet, et selon que d’elles, ce sujet participe d’une manière plus ou moins parfaite. »

Dans cette première solution, rejetée par François de la Marche, nous reconnaissons celle de saint Thomas, à laquelle Gilles de Rome a prêté son langage.

Voici maintenant celle que Gilles de Rome a, tout d’abord, paru proposer, et qu’il a transformée ensuite en celle de saint Thomas :

« Une autre manière de répondre est la suivante : Une forme devient plus intense ou plus atténuée quant à son existence propre, mais non point quant à son essence. En effet, l’essence de chaque forme est indivisible. Aussi, au huitième livre de la Métaphysique, le Philosophe compare-t-il aux nombres les essences ou quiddités des choses ; de même que l’essence d’un nombre n’est pas susceptible de plus ou de moins, de même en est-il des essences ou quiddités des choses. Ainsi, selon les tenants de cette opinion, une

  1. Primus liber magistri Francisco de Marchia de ordine fratrum minorum, Dist. XVII, quæst. III. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. no 3071, fol. 48, col. a.
  2. Francisci de Marchia Op. laud., lib. I, dist. XVII, quæst. IV : Quarto queritur utrum forma accidentalis augeatur per essentiam suam. Ms. cit., fol. 48, coll. c et d.