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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

(concharitas). Je réponds : Ce qu’a dit ce docteur, Auriol, l’entendre ainsi : Le degré qui vient s ajouter est une charité ; il ne l’est pas, toutefois, d’une manière précise, en raison de ce qui vient s ajouter de nouveau [à la charité préexistante], car ce qui survient ainsi, c’est l’hœccéité : en ce sens, il est donc seulement co-charité, et non pas charité ? Je dis alors qu’en ce sens, on peut bien entendre que l’hœccéité n’est pas formellement charité. »

Quelle sorte d’union ou d’unité y a-t-il entre les divers degrés qui composent une même forme ?

« Il faut concevoir[1] qu’au sein de la forme, ces degrés possèdent quatre sortes d’unités, et cela lors même qu’ils seraient séparés de tout sujet : en sorte que, de ces unités reçues au cours de l’accroissement, il n’en est aucune qu’ils tiennent du sujet.

» La première est l’unité d’indivision ; ils sont distincts, en effet, mais ils ne sont pas séparés les uns des autres, comme le sont les charités qui résident en deux âmes différentes.

» La seconde est l’unité de composition ; toute forme se compose de ses degrés comme tout continu se compose de ses parties ; cette composition, cependant n’est pas semblable à celle qui résulte de l’union d’un être en acte avec un être en puissance », par exemple à celle par laquelle la substance résulte de l’union de la forme avec la matière.

» La troisième est l’unité par continuité ; ces degrés, il est vrai n’ont pas la continuité extensive, qui convient seulement à la grandeur de masse (quantitas molis) ; mais ils possèdent la continuité intensive ; de deux degrés consécutifs, les extrémités ne font qu’un, et cela précisément en vertu de la continuité dont nous parlons.

» La troisième est l’unité d’homogénéité ; en effet, ils ont la même raison formelle ; tout degré de charité est charité ; il n’est pas cette charité qu’est le tout, mais cette charité qui, d’une manière univoque, se peut dire du tout et de chacun des degrés. C’est ce qu’on voit clairement par l’exemple de l’eau. »

Après Duns Scot, Guillaume d’Ockam et François de Mayronnes sont assurément les deux docteurs qui ont le plus influé, au xive siècle, sur la philosophie franciscaine ; bien souvent, les influences de ces deux maîtres s’opposent l’une à l’autre ; ici, elles concourent à recommander la théorie défendue par Richard de Middleton et par le Docteur Subtil ; nous ne nous étonnerons donc pas que cette théorie ait reçu, de la part des Mineurs, un acquiescement unanime.

  1. François de Mayronnes, loc. cit., éd. cit., fol. 74, col. a.