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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

dernier degré, et quelque chose en plus ; le chaud, par exemple, présuppose le tiède en vertu d’un ordre essentiel. Mais des choses entre lesquelles il y a un ordre essentiel ne sont pas de même espèce ; ces degrés ne sont donc pas de même espèce ; l’accroissement d’intensité se fait par degrés hétérogènes, non pas par degrés homogènes.

» Seconde objection : Tout degré a des parties, car tout ce qui est introduit d’une manière successive a des parties ; mais ces parties ne sont pas autre chose que des degrés ; tout degré a donc des degrés, et chacun de ceux-ci a des degrés ; la série des degrés se prolonge donc à l’infini.

» Troisième objection : Tout ce qui est divisible à l’infini est véritablement continu ; mais la charité est divisible à l’infini ; la charité est donc vraiment continue. La majeure est évidente en vertu de la définition du continu, et la mineure l’est également, puisqu’on admet que la série des degrés se prolonge à l’infini.

» Quatrième objection : Si une chose est en puissance d’en devenir une autre, comme le moins parfait est en puissance de devenir le plus parfait, ces deux choses ne peuvent être de même nature (ratio). Or, si la charité croît par degrés, chacun de ces degrés sera en puissance du degré suivant, et, de celui-ci, recevra sa perfection ; ces deux degrés seront donc de nature différente.

» Voici ma réponse à la première objection : Entre ces degrés, il n’y a aucun ordre essentiel, mais seulement un ordre accidentel ; il en est comme des parties d’une ligne ; de même que la première partie d’une ligne pourrait aussi bien être la dernière ou une partie intermédiaire, de même le premier degré pourrait être le dernier.

» Au sujet de l’exemple tiré du chaud et du tiède, sachez qu’il en est comme des parties d’une ligne. Dans ces parties, nous considérons, en premier lieu, la nature de la ligne, qui est une certaine espèce de grandeur ; en outre, nous les considérons comme affectées d’un certain caractère qui est de nature numérique (ut induunt quamdam rationem numeri) ; elles sont, par exemple, de deux coudées, de trois coudées. À ce second point de vue, il n’y a pas d’inconvénient à dire : De même qu’en vertu d’un ordre essentiel. le nombre deux précède le nombre trois, de même, la partie de ligne qu’affecte le caractère du nombre deux, et qu’on dit être de deux coudées, précède suivant un ordre essentiel cette autre partie qu’affecte le caractère du nombre trois, et qui est dite de trois coudées.

» Il en faut dire autant dans le cas qui nous occupe.