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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

un terme précis qui correspond à la rareté du feu. En outre, on pourrait raréfier de l’eau à tel point qu’elle ne fût plus de l’eau, mais de l’air ou du feu ; c’est ce qui aurait lieu si l’on dépassait la mesure de rareté qui est propre à l’eau. L’eau ne saurait, d’une manière naturelle, occuper de plus grands espaces que l’air et le feu, à moins de perdre sa nature aqueuse pour surpasser la rareté de l’air ou du feu. »

Gilles de Rome est, presque toujours, un fidèle thomiste ; à la théorie du minimum naturel, dont Thomas d’Aquin a clairement posé le principe, il donne de grands développements, si bien que les Scolastiques le regardent souvent comme le créateur de cette théorie.

À la base de la théorie exposée par Gilles de Rome se trouve une distinction essentielle[1] :

La grandeur peut être considérée de trois manières différentes.

On peut la considérer, en premier lieu, en tant que pure grandeur, en faisant entière abstraction de la matière en laquelle elle est réalisée ; c’est la grandeur imaginée.

On peut, en second lieu, la considérer d’une manière plus concrète, comme réalisée en la matière, mais sans spécifier aucunement la nature de cette matière ; c’est la grandeur réelle.

On peut, enfin, la considérer d’une manière encore plus concrète, comme réalisée en une matière dont la nature soit spécifiquement déterminée, de telle façon qu’elle soit la grandeur d’un corps de telle sorte ; la grandeur d’une certaine quantité d’eau, par exemple ; c’est alors la grandeur naturelle.

La grandeur pure et abstraite de toute matière, la grandeur telle que le géomètre la conçoit est évidemment divisible à l’infini. Il en est encore de la grandeur réalisée en la matière, mais en une matière dont la nature demeure indéterminée.

Il en est tout autrement de la grandeur réalisée en une matière dont la nature est déterminée ; cette grandeur ne saurait être divisée au delà d’une certaine limite sans qu’il en résulte un changement de nature de la substance en laquelle elle est concrétisée.

Voici donc comment nous devons concevoir cette théorie de Gilles de Rome :

  1. Egidii Romani in libros de physico auditu Aristotels commentaria accuratissime emendata ; et in marginibus ornata quotationibus textuum et commentorum, ac aliis quamplurimis annotationibus ; Cum tabula questionum in fine. Eiusdem questio de gradibus formarum. Cum privilegio. Colophon : Preclari summique philosophi Egidii Romani De gradibus formarum tractatus Veneiijs mandato et expensis Heredum Nobilis viri domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis, per Bonetum Localellum presbyterum. 12o Kal. Octobr. 1502. Lib. III, lectio XIV, text comm. 59-60, Dub. 1a et 2a ; fol. 59, coll. a, b, c.