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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

que l’un d’entre eux, et cela d’une manière extensive ; mais si l’on ajoutait la pesanteur ou gravité de l’un de ces corps à la pesanteur ou gravité de l’autre, et cela de manière à faire une seule pesanteur ou gravité par l’union des deux pesanteurs ou gravités, le résultat serait plus pesant en intensité que chacune des deux pesanteurs prise isolément ; et cela est naturel, bien qu’aucune de ces deux pesanteurs, considérée séparément, ne soit plus parfaite que l’autre. »

Le choix de ce dernier exemple semble particulièrement propre à rendre la pensée de Jean de Bassols accessible à nos modernes intelligences ; sous l’influence d’un texte de saint. Augustin, et à l’imitation de Richard de Middleton et de Duns Scot, Bassols a distingué deux sortes de quantités, la quantité de masse et la quantité de force ; or, ici, il se trouve que l’extension, qui est une quantitas molis, correspond précisément à ce que nous nommons masse, et que la quantitas virtutis est ce que nous appelons force.

La netteté que nous venons d’admirer en la doctrine de Jean de Bassols ne se retrouve pas toujours dans les théories de ses contemporains et de ses successeurs ; à la théorie qu’il a soutenue, certains apportent des atténuations ou des complications ; ainsi fait Pierre Auriol dans son second commentaire au premier livre des Sentences, commentaire qui fut composé en 1318 ou, au plus tard, en 1319[1].

Pierre Auriol admet, en premier lieu[2], avec Duns Scot, que toute forme dont l’intensité croît fait l’acquisition d’une certaine réalité nouvelle ; il admet, en second lieu[3], à l’encontre de l’opinion soutenue par Godefroid de Fontaines, que cette acquisition d’une réalité nouvelle n’entraîne la destruction d’aucune réalité contenue en la forme préexistante. Mais il n’admet pas en sa plénitude la doctrine soutenue par Richard de Middleton, par Jean de Duns Scot, par Jean de Bassols. « Cette réalité, dit-il[4], par laquelle une charité moindre devient plus parfaite et plus intense n’est pas une charité entière, qui puisse être distinguée d’une manière précise ; elle n’a pas reçu en partage la réalité, la raison spécifique que possède une charité individuelle ; elle participe à la

  1. Noël Valois, Pierre Auriol, frère mineur (Histoire littéraire de la France, t. XXXIII, 1906, p. 485 et p. 500).
  2. Commentariorum in primum librum Sententiarum. Pars prima. Auctore Petro Aureolo Verberio Ordinis Minorum Archiepiscopo Aquensi S. R. E. Cardinali. Ad Clementem VIII. Pont. Opt. Max. Romæ, Ex Typographie Vaticana. MDXCVI. Lib. I, dist. XVII, par tertia, artic. secundus, p. 435.
  3. Petro Aureoli, ''loc. cit., p. 436.
  4. Petro Aureoli, ''loc. cit., p. 441.