Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/511

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

En faveur de la réponse affirmative, certains présentent cet argument : « L’augmentation des qualités se comporte par rapport à la qualité exactement comme l’augmentation des quantités se comporte par rapport à la quantité ; l’augmentation des qualités se fait donc par addition. »

La réponse négative est, au contraire, commune à deux théories, que Varon décrit sans en nommer les auteurs, mais où nous reconnaissons sans peine la doctrine d’Henri de Gand et celle de saint Thomas d’Aquin.

Selon cette doctrine-là, « lorsque Dieu a créé la première charité qu’il a, tout d’abord, infusée à un homme, il a créé en puissance, en cette charité, tous les degrés qu’elle est susceptible de prendre en acte ; lorsqu’il plaît à Dieu d’accroître cette charité, il tire à l’acte un de ces degrés de charité qui étaient en puissance et ainsi, l’habitude totale en devient plus intense. »

À cette doctrine-là, les partisans de l’autre doctrine ripostent que « la chaleur n’est pas, par elle-même, en puissance d’une plus grande chaleur ; cette puissance à une chaleur plus grande, c’est dans le sujet même qu’elle se trouve ; si le sujet ne possédait cette puissance au changement, il ne pourrait pas recevoir une chaleur pins grande : la chaleur plus grande se tire donc de la puissance du sujet, et non pas de la puissance de la chaleur. »

De l’une comme de l’autre doctrine, les tenants refusent de voir en l’accroissement de la charité ou de la chaleur l’addition d’une nouvelle charité ou d’une nouvelle chaleur à une charité ou à une chaleur préexistante. « Une telle addition d’une partie à une autre partie ne peut pas faire que la charité devienne plus grande. De même qu’une tiédeur ajoutée à une autre tiédeur ne fait pas une chaleur plus intense, de même, une partie de charité ou une charité tiède ajoutée à une autre charité tiède ne fera pas qu’elle devienne plus grande. »

À cette argumentation, Varon répond en ces termes : « Ce que l’on dit ici de la tiédeur ajoutée à la tiédeur est sans valeur ; voici, en effet, la raison pour laquelle une tiédeur ajoutée à une autre tiédeur ne fait pas une chaleur plus intense : Lorsqu’on ajoute ainsi une tiédeur à une autre, on ajoute en même temps le sujet de l’une de ces tiédeurs, de l’eau par exemple, au sujet de l’autre tiédeur ; ces sujets, ajoutés l’un à l’autre, empêchent la chaleur de devenir plus intense. Si d’un corps tiède, on prenait ce qui est précisément la chaleur, si l’on prenait de même ce qui est chaleur en un autre corps tiède et que l’on plaçât ces deux chaleurs en un même sujet, je dis que cela ferait une chaleur plus grande. »