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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

bre plus grand. Mais une substance matérielle est quelque chose qui est simplement un ; il ne peut donc, en elle, se trouver plusieurs réalités en acte. Voilà pourquoi lorsqu’une forme substantielle survient, il faut que la forme substantielle préexistante lui cède la place… De même en doit-il être de toute addition ou soustraction qui se fait en la substance des choses ; lorsqu’une forme nouvelle advient, celle qui existait auparavant doit être anéantie. »

Sans doute, l’intention de l’auteur que nous venons de citer vise seulement les formes substantielles ; l’opération qu’il vient de décrire, c’est celle par laquelle des formes substantielles de plus en plus parfaites se succèdent dans un même sujet ; ainsi un même corps peut-il être animé d’abord par l’âme végétative, puis par l’âme sensitive, enfin par l’âme raisonnable ; mais c’est bien à l’imitation de ces âmes de plus en plus parfaites que nous devons concevoir, Hervé de Nédellec nous l’a dit, les degrés essentiels de plus en plus élevés d’une même forme accidentelle, d’une même qualité, de la chaleur par exemple. Le langage que nous venons d’entendre se pourra donc également tenir d’un corps qui s’échauffe.

Que cette opinion comptât déjà des partisans au temps de saint Thomas d’Aquin, nous n’en saurions douter ; le Docteur Angélique, écrit, en effet[1], en son Commentaire sur les Sentences : « Certains prétendent que la charité ne subit, par essence, aucune augmentation : que, lorsque advient une charité plus grande, la charité moindre qui existait auparavant se trouve détruite ; ainsi dit-on que les jours s’allongent lorsque des jours plus longs succèdent à des jours plus courts. »

Gilles de Borne écrit de même[2] : « Certains prétendent que la charité croît comme croissent les jours ; le jour ne croît pas en ce sens qu’un même jour, de plus court qu’il était, deviendrait plus long ; il croît parce qu’un jour plus long succède à un jour plus court, un jour d’été à un jour de printemps ; de même la charité grande : c’est dire qu’au moment où Dieu répand en nous une charité plus grande, la charité moindre est anéantie. »

Gilles s’attachait d’ailleurs à démontrer aux tenants d’Henri de Gand qu’il leur fallait, quoi qu’ils en eussent, admettre cette façon de concevoir l’accroissement de la charité :

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Scriptum in libros Sententiarum ; lib. I, dist. XVII, pars II, quæst. I : Utrum charitas augeatur ?
  2. Ægidii Romani Op. laud., dist. XVII, pars II, principalis I, quæst. I ; éd. cit., fol. 95, col. b.