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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

latitude des degrés qui existent dans l’essence même de cette forme. »

Durand ne se contente pas de réfuter la théorie de saint Thomas d’Aquin et de Gilles de Rome : en faveur de la théorie d’Henri de Gand, il apporte des arguments positifs ; en voici quelques-uns :

« Il nous faut affirmer que l’intensité, et la rémission de la forme dépendent des degrés divers de l’essence de cette forme. Cela peut se prouver de la manière suivante : Ce que l’extension plus ou moins grande est pour la quantité, l’intensité plus ou moins grande l’est pour la qualité. Mais l’extension plus ou moins grande dépend de l’essence même de la quantité ; celle-ci, en effet, a, en son essence, une latitude capable de s’étendre plus ou moins. L’intensité plus ou moins grande dépend donc, elle aussi, de l’essence même de la qualité, en tant que cette qualité est douée, à cet effet, d’une latitude susceptible de degrés divers.

» En second lieu, cela se voit encore de la manière suivante : l’indivisibilité d’une forme est la raison pour laquelle cette forme n’est pas susceptible de plus ou de moins ; de même, la divisibilité en degrés est la raison qui rend la forme capable de plus ou de moins ; or l’indivisibilité d’une forme dépend de l’essence de cette forme ; il en doit donc être de même de la divisi hilité. »

La divisibilité de la forme en degrés ne ressemble d’ailleurs aucunement, dans la pensée de Durand de Saint-Pourçain[1], à la divisibilité d’une quantité en parties ; les degrés successifs désignent une perfection de plus en plus grande de la forme : chacun d’eux est virtuellement contenu dans le degré plus élevé ; mais il n’en saurait être détaché comme une partie le peut être d’un tout ; la division d’une forme en degrés doit être assimilée à la division d’un genre en espèces que l’on peut échelonner selon leur degré plus ou moins élevé de perfection.

N’allons pas dire, d’ailleurs, que si une forme est susceptible de plus ou de moins, la cause en est dans la latitude de cette forme (latitudo formæ). « Ces deux choses, en effet, prises dans leur réalité, n’en font absolument qu’une ; ni en acte ni en puissance l’une n’est la cause de l’autre ; avoir, dans son essence, une latitude de degrés, et être susceptible de plus et de moins, c’est absolument la même chose… Ce plus et ce moins ne sont pas autre

  1. Durandi a Sancto Portiano Op. laud., lib. I, dist. XVII, quœst. IX : Utrum essentia formæ sit causa suscipiendi magis et minus.