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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

Tout d’abord, la doctrine de Gilles « est en défaut dans son hypothèse même, car elle suppose que l’existence diffère réellement de l’essence, alors que beaucoup tiennent pour très véritable la proposition contraire ». Mais elle est également en défaut dans sa thèse ; et Durand en contredit, les unes après les autres, toutes les affirmations.

Il a bien reconnu que la théorie de Gilles se ramène, au fond, à celle de saint Thomas d’Aquin :

« Accordera-t-on, dit-il, la seconde partie du dilemme, savoir que l’existence est, tout comme l’essence, une chose absolument indivisible, qui n’a pas de degré par elle-même, mais qui en a seulement en vertu de la façon dont le sujet participe d’elle ? Je crois que c’est bien là la pensée de ceux qui ont posé cette thèse. Au sein d’un sujet, en effet, ils n’admettent qu’une seule existence (esse existentiæ), celle qui provient de la forme substantielle. Partant, comme ils nient que la forme substantielle, tant au point de vue de l’existence qu’au point de vue de l’essence, soit susceptible de plus ou de moins ; comme l’existence, à leur avis, n’est due qu’à cette seule forme, il est clair qu’ils n’entendent point dire qu’aucune essence (esse essentiæ) ni qu’aucune existence (esse existentiæ) ait des degrés ; mais ce qu’ils nomment existence (esse), c’est ce par quoi le sujet participe de la forme ; et c’est ce qu’ils désignent aussi par existence dans quelque chose (inesse), comme le montre clairement ce propos qu’ils énoncent : L’existence d’un accident, c’est une existence dans quelque chose (accidentis esse est inesse). »

Durand tourne donc ses coups contre la théorie thomiste :

« De la part du sujet, dit-il, la latitude ne peut dépendre de sa nature substantielle, qui n’est pas susceptible de plus ou de moins… Il faut donc qu’elle dépende d’une certaine forme qui réside en ce sujet, et par l’intermédiaire de laquelle il devient apte à recevoir une autre forme… Alors, considérant cette forme par laquelle le sujet se trouve plus ou moins bien disposé, je demande pourquoi le sujet y participe plus ou moins. Est-ce à cause de la latitude de la forme ou bien à cause d’une latitude venue du côté du sujet ? Si c’est à cause de la latitude de la forme, c’est donc que cette forme a, dans sa propre essence, une latitude de degrés, ce qui va contre leur opinion. Si c’est à cause d’une latitude qui provient de la part du sujet, je répète, touchant la forme qui dispose plus ou moins bien le sujet, ma précédente question. Il faudra, de la sorte, aller à l’infini, ou bien donner une forme à laquelle le sujet participera plus ou moins, en vertu de la