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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de notre auteur manque assurément de force convaincante ; la voici[1] :

« Des degrés au point de vue de l’existence ne peuvent se rencontrer dans une forme substantielle tant qu’elle reste de même espèce. C’est la forme substantielle, en effet, qui donne, au sujet qu’elle informe (suppositum), l’existence spécifique et l’existence pure et simple (esse simpliciter) ; si donc l’existence de la forme substantielle vient à changer, il y a variation de l’existence spécifique et de l’existence pure et simple, ce qui ne saurait avoir lieu sans qu’il y ait changement d’espèce. C’est pourquoi, pour une forme substantielle, il ne peut y avoir changement de degré dans l’existence sans qu’il y ait changement de degré dans l’essence.

» Mais pour une forme accidentelle, c’est possible ; une forme accidentelle, en effet, ne donne pas l’existence spécifique ; un changement de l’existence ne nécessite donc pas un changement correspondant de la forme ; une seule et même forme accidentelle peut exister plus ou moins dans son sujet (inesse) ; il peut donc arriver qu’une forme accidentelle qui demeure de même espèce présente plusieurs degrés dans son existence sans en présenter dans son essence.

» Mais comment cela a-t-il lieu ? Remarquez que l’existence d’un accident, c’est une existence dans quelque chose (accidentis esse est inesse) ; un accident, en effet, n’est un être qu’en tant qu’il est d’un autre être. Partant, les degrés d’un accident, qui sont différents au point de vue de l’existence (secundum esse), sont différents au point de vue de l’existence au sein du sujet (secundum inesse). Mais pour qu’un accident soit plus ou moins inhérent au sujet, il faut que le sujet soit plus ou moins bien disposé à le recevoir. Partant, suivant qu’un sujet sera plus ou moins bien disposé à la réception d’une forme, il recevra plus ou moins cette forme. Une blancheur n’est donc pas plus grande qu’une autre ; mais un corps est plus blanc qu’un autre. Unde una albedo non est major alia, sed corpus unum est alibis alio. » Maintenant, dans la doctrine de Gilles de Rome, nous reconnaissons nettement la pensée de saint Thomas d’Aquin,

Les partisans d’Henri de Gand ne se tinrent pas pour battus par les arguments de Gilles de Rome ; à leur tour, ils attaquèrent vivement la théorie de celui-ci ; ainsi fit, par exemple, Durand de Saint-Pourçain[2].

  1. Ægidii Romani Op. laud., dist. XVII, pars II, principalis I, quæst. II, art. I ; éd. cit., fol. 96, coll. a et b.
  2. Dubandi a Sancto Portiano super sententias Petri Lombardi commentariorum libri quatuor ; lib. I, dist. XVII, quæst. V : Utrum charitas possit augeri.