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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

nombre des tenants de cette opinion ; nous ne croyons pas, cependant ; qu’on la lui doive attribuer ; sa pensée se montre très conforme à celle de saint Thomas d’Aquin dans la seule occasion où elle se soit exprimée explicitement. À son gré[1], l’essence spécifique de la charité ou d’une qualité analogue est essentiellement indivisible, essentiellement incapable de plus ou de moins : elle ne peut s’approcher ou s’éloigner de la perfection qu’en changeant d’espèce. Si donc une qualité est capable de présenter des degrés divers, si elle est susceptible de plus ou de moins, ce ne peut être par essence, mais seulement par accident, en tant que le sujet participe plus ou moins à cette forme. « Si la blancheur était séparée de tout sujet, et si l’on supposait qu’il pût y avoir plusieurs blancheurs séparées, toutes ces blancheurs seraient également parfaites… Si donc elles peuvent avoir certains degrés virtuels, tandis que les formes substantielles ne sont pas considérées comme douées de tels degrés et comme susceptibles de plus ou de moins, voici ce qu’on doit certainement entendre par là : Ces qualités ont une nature et une vertu telles que le sujet puisse participer d’elles à des degrés divers, soit plus, sort moins, ou encore que le sujet soit apte à recevoir d’elles une perfection plus ou moins grande. »

Il est vrai qu’en d’autres circonstances, Godefroid prend une sorte de moyen terme entre la théorie thomiste et la théorie d’Henri de Gand. Il admet, par exemple, qu’il y a plusieurs espèces de chaleur, qui s’échelonnent suivant leur perfection croissante. Une de ces espèces est celle que le feu nous présente dans sa plénitude : ici bas, comme le veut saint Thomas, un corps sera plus ou moins chaud selon qu’il participera plus ou moins complètement a une seule et meme chaleur, celle que le feu possède au plus haut degré d’intensité. Mais au-dessus de cette première espèce de chaleur, se trouve une chaleur d’une autre espèce, et plus parfaite : c’est la chaleur du Soleil ; et si intense que soit la chaleur de première espèce, la chaleur ignée, elle n’atteint jamais le moindre degré de la chaleur de seconde espèce, de la chaleur solaire. « En effet[2], bien qu’aucun corps chaud ne puisse posséder la forme de la chaleur d’une manière plus parfaite que le feu

  1. Magistri Godefridi de Fontibus Quodlibeta reportata, — Quodlibetum II, quæst. II ; Utrum caritas sive quicumque habitus possit augeri per essentiam ? (Les philosophes belges ; textes et études. Tome II : Les quatre premiers quodlibet de Godefroid de Fontaines, par De Wulf et Pelzer ; Louvain, 1904 ; pp. 139 seqq.)
  2. Godefridi de Fontibus Op. laud., quodlib. IV, quæst. III : Utrum in pecfectionibus essentialibus rerum sive ordinem essentialem habentibus sit processus in infinitum. Loc. cit., p. 246.