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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

partie du degré supérieur ; mais ces termes, il les entend assurément au sens métaphorique, au sens où l’on peut dire que l’existence en puissance est une partie de l’existence en acte, que cette existence-ci est plus grande que celle-là. Il se garde bien de croire que l’accroissement d’une forme se fasse comme l’augmentation d’une grandeur, qu’elle résulte de l’apposition de parties nouvelles à des parties préexistantes. « L’augmentation des formes, dit-il, ne se fait pas par une apposition de parties en leur substance ou en leur essence ; c’est un accroissement de force (in virtute), grâce auquel la forme augmentée devient plus efficace en sa propre opération, ce que ne saurait produire l’addition du semblable à son semblable ; une tiédeur ajoutée à une tiédeur égale ne fait pas une chaleur plus grande. » L’exemple dont le Docteur Solennel vient d’user pour mettre en évidence la distinction qui existe entre l’augmentation d’une grandeur et l’exaltation d’intensité d’une qualité va être d’un constant usage dans les discussions scolastiques.

L’essence même de la forme, selon la doctrine d’Henri, comprend divers degrés dont chacun, plus parfait que les degrés inférieurs, possède en acte quelque chose qui était seulement en puissance dans les degrés inférieurs ; imitant mieux la perfection divine que ne l’imitent les degés inférieurs, le degré supérieur est plus grand d’une grandeur de perfection (magnitudo perfectionis) et non d’une grandeur de masse (magnitudo molis)[1].

Afin de faire comprendre les rapports qu’ont entre eux les degrés de plus en plus parfaits d’une même forme qualitative, Hervé de Nédellec († 1322) use d’une comparaison[2] qui met bien en évidence la pensée essentielle de la doctrine thomiste : « le degré atténué, » dit le Docteur breton, « est contenu dans le degré plus intense, comme l’âme végétative est impliquée en l’âme sensitive et celle-ci en l’âme intellectuelle. »

Cette comparaison met bien en évidence ce qu’il y a d’essentiel dans la doctrine d’Henri de Gand ; selon cette doctrine, les divers degrés d’une même qualité diffèrent essentiellement les uns des autres, et s’étagent, les uns au-dessus des autres, suivant une perfection essentielle de plus en plus grande, comme diffèrent et s’échelonnent les espèces au sein d’un même genre.

Godefroid de Fontaines est parfois cité par les Scolastiques au

  1. Henrici a Gandavo Quodlibeta ; Quodlibetum V, quæst. III ; éd. cit., fol. clvi, vo.
  2. Subtilissima Hervei Natalis Britonisquodlibeta undécimo cum onto ipsius profundissimis tractatibus… De beatitudme. De verbo, De eternitate mundi, De materia celi, De relatione, De pluralitate formarum, De virtutibus, De motu angeli. — Venetiis, 1513, Quodlibetum VII, quæst. XVII.