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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

mots : latitudo formæ vont prendre une singulière vogue dans les discussions de l’École.

L’expression latitudo formæ est nettement définie en une Somme de Logique que l’on rencontre parmi les Opuscules de saint Thomas d’Aquin, mais qui fut sûrement rédigée longtemps après l’époque où vécut le Docteur Angélique[1]. Voici ce que nous lisons en cette Somme[2] :

« La substance a, en commun avec certains accidents, deux caractères : Elle n’admet rien qui lui soit contraire, et elle n’est susceptible ni de plus ni de moins. Pour comprendre ces propositions, il faut savoir que certaines formes sont douées de latitude et d’autres non ; et c’est parce que certaines formes sont susceptibles de la susdite latitude qu’elles admettent un contraire, bien que cela ne soit pas vrai de toutes ces formes.

» Afin de savoir ce qu’est cette latitude, remarquez que, pour les choses spirituelles, on conçoit l’augmentation par extension de ce que l’on sait de la grandeur des choses corporelles ; or, lorsqu’il s’agit de quantité corporelle, on dit d’une chose qu’elle est grande lorsqu’elle approche de la perfection qui convient à sa grandeur ; voilà pourquoi telle chose susceptible de quantité est dite grande en un homme qui ne serait point réputé grande en un éléphant. De même, lorsqu’il s’agit de formes, une chose est dite grande dans la mesure où elle est parfaite.

» Mais la perfection d’une forme peut être considérée à deux points de vue, selon que l’on considère la forme elle-même, ou bien la participation du sujet à cette forme. Dans le premier cas la forme, est dite grande ou petite ; on dira, par exemple, une petite blancheur. Dans le second cas, on emploie les mots plus ou moins ; on dit d’un corps qu’il est plus ou moins blanc. Lorsqu’une forme est douée par elle-même d’une indétermination telle qu’elle puisse être réalisée plus ou moins dans le sujet, c’est-à-dire d’une manière plus ou moins parfaite, on dit qu’elle est douce de latitude et qu’elle atteint tel ou tel degré d’intensité ou de rémission. »

L’intensio de la forme, qui marque son degré de perfection, se

  1. Carl Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande, Leipzig, 1867 ; Bd. III, pp. 250-257, — P. Duhem, Le mouvement absolu et le mouvement relatif. Note : Sur une Somme de Logique attribuée à saint Thomas d’Aquin (Revue de Philosophie, 9e année, no 4, 1er avril 1909, p. 436). — P. Mandüonnet O, P., Des ’écrits authentiques de saint Thomas d’Aquin ; Fribourg, 1910 (Extrait de la Revue Thomiste, 1909-1910).
  2. Sancti Thome Aquinatis Opuscula ; Opusc. XLVIII : Totius logicæ Aristotelis summa ; tract. II : De prædicamentis ; cap. IV.