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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

fait, pour ainsi dire, d’elle-même ; les vitesses des deux mobiles sont entre elles comme les longueurs décrites, pendant le même temps, par un point du premier mobile et par un point du second mobile ; il n’est pas nécessaire de préciser davantage le temps durant lequel les deux longueurs sont décrites, ni de désigner, en chacun des deux mobiles, le point dont on mesure le chemin.

La comparaison de deux rotations uniformes peut se faire non moins aisément, en évaluant le rapport des deux vitesses angulaires ; la notion de vitesse angulaire dans une rotation uniforme s’est présentée si simplement et si naturellement à l’esprit des astronomes, qu’on la trouve, dès l’origine de 1’Astronomie grecque, implicitement présente à tous les écrits consacrés à la Science des mouvements célestes, sans qu’il en soit donné aucune définition formelle.

Les deux notions qui s’étaient ainsi présentées comme d’elles-mêmes à l’esprit des géomètres et qui avaient, toutes deux, reçu le nom de vitesse, offraient cependant entre elles un grave disparate. Deux mobiles animés de mouvements de translation sont également vites si, dans des temps égaux, ils parcourent des longueurs égales. Deux mobiles animés de mouvements de rotation sont également vites si, dans des temps égaux, ils décrivent des angles égaux. La vitesse linéaire d’un mouvement de translation et la vitesse angulaire d’un mouvement de rotation ne sont pas grandeurs de même espèce.

Le disparate des deux définitions risquait d’entraîner des confusions contre lesquelles les physiciens étaient souvent obligés de mettre en garde leurs disciples. Ainsi les diverses planètes, si l’on ne considère que leurs vitesses angulaires, sont d’autant plus lentes qu’elles sont plus éloignées du centre du Monde ; mais si l’on veut comparer leurs vitesses à l’aide des chemins qu’elles parcourent en des temps égaux, il se peut fort bien que Saturne marche aussi vite ou plus vite que Jupiter.

L’inconvénient qui se rencontre à donner le même nom de vitesse à deux grandeurs d’espèces différentes paraît avoir frappé Guillaume d’Ockam ; il a tenu à ce que le nom de vitesse fût réservé à la vitesse telle qu’on avait accoutumé de la définir dans le mouvement de translation et, par conséquent, à ce qu’il fût refusé à la vitesse angulaire.

Une autre préoccupation d’Ockam lui était imposée par la tendance générale de sa philosophie ; il ne voulait pas qu’on fît de la vitesse quelque entité nouvelle indépendante du temps et du mouvement.