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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

opinion : Il est impossible, par la voie de nature, qu’un effet soit reproduit, numériquement identique à ce qu’il a été. Mais si je soutiens cette conclusion, ce n’est pas en vertu des raisons qui ont été invoquées à l’appui de cette opinion, car aucune d’elles ne conclut ; mais de la même conclusion, je donne une autre preuve.

» Je dis bien que si la même puissance demeure dans le sujet, si l’agent et le patient demeurent les mêmes, le même effet peut revenir. Mais [de l’impossibilité de ce retour], j’assigne une autre raison.

» Pour qu’elle devienne évidente, sachez que le Philosophe, au IXe livre de la Métaphysique, distingue deux sortes de possessions et de privations, ou bien encore deux sortes de sujets.

» Un sujet peut se comporter également et indifféremment à l’égard de la possession et de la privation ; ainsi en est-il de l’air à l’égard de la lumière et de l’obscurité ; pour que l’air soit dans l’obscurité, il n’est pas nécessaire qu’il ait été éclairé auparavant, et l’inverse n’est pas davantage nécessaire.

» Un sujet peut, au contraire, regarder la possession et la privation dans un certain ordre, de telle façon que la possession précède nécessairement la privation ; ainsi en est-il de ce qui sert de sujet au sens de la vue et à la cécité, de ce qui sert de sujet à la vie et à la mort. En de semblables cas, le sujet peut bien, par la voie de la nature, passer de la possession à la privation, mais l’inverse est impossible ; il ne peut, de la privation, revenir à une possession qui soit numériquement la même que la première, encore qu’il puisse bien revenir à une possession de même espèce.

» Cela posé, voici comment je raisonne :

» Toutes les fois que le sujet regarde la possession et la privation suivant un certain ordre de nécessité, toutes les fois que, pour lui, la possession précède nécessairement la privation, il est impossible qu’il y ait, de cette privation, retour à la possession préexistante. Mais, à l’égard de leur commun sujet, la génération et la destruction se comportent comme une possession et une privation de cette sorte ; le sujet considère la génération comme nécessairement antérieure à la corruption ; pour lui, la génération est comme une possession et la destruction est comme une privation ; de la destruction à la génération, il ne saurait donc y avoir retour.

» On peut alors argumenter en forme de la manière suivante :

» Lorsqu’une privation présuppose nécessairement la possession, dans le sujet où elle réside, il ne peut, de cette privation, y