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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

qui est mouvement lorsqu’on la considère dans le premier mobile, el qui est temps lorsqu’on la considère à l’égard des autres mouvements dont elle est la mesure.

« Partant, il n’est pas plus impossible aux parties du mouvement de garder le même ordre entre elles, sans garder le même ordre dans le temps qu’aux parties d’un corps logé de garder un même ordre au sein du corps total sans garder le même ordre dans le lieu. »

François vient de nous rappeler que le temps, considéré dans son fondement même, n’est qu’un mouvement, le mouvement du premier mobile. Le jour que nous vivons n’est qu’une certaine révolution du premier mobile ; dans la venir, cette révolution pourra être reproduite, numériquement identique à elle-même ; un jour pourra donc revenir qui sera, identiquement, le jour que nous vivons, qui, avec le jour que nous vivons, ne fera qu’un seul et même jour.

François, qui soutient cette thèse, se heurte à cette objection : N’est-il pas absurde d’admettre que le présent puisse être, numériquement et identiquement, la même chose que le passé ?

À cette objection, notre auteur répond comme Guillaume d’Ockam et comme Nicolas Bonet ; et peut-être, en clartés, sa réponse surpasse-t-elle celle de son maître et celle de son émule.

« Ces termes : temps présent, temps passé, expriment, à la fois, deux choses[1]. Temps présent, cela exprime, d’abord, ce temps que voici ; cela exprime, en outre, l’ordre que ce temps présente à l’égard d’un autre temps auquel il ne coexiste pas. De même, temps passé, cela exprime, d’abord, tel être, tel temps ; cela exprime, en outre, l’ordre de ce temps à l’égard d’un autre temps, à l’égard du présent ; cela dit, en effet, que ce temps a été avant le temps présent.

» Je dis alors que si l’on voyait revenir un temps qui a déjà été, la journée d’hier par exemple, tout le réel qui a existé [durant cette journée] reviendrait ; mais ce qui ne reviendrait pas, c’est ce rapport purement conçu (respectas rationis) qu’exprime le temps ; car l’expression : temps passé exprime » que cet être réel qui a existé, n’existe plus maintenant. « Si donc le temps passé revenait, en ce sens qu’on verrait revenir l’être total, l’être réel qui a déjà existé, cet être n’aurait pas le non-être, car il ne peut se trouver à la fois sous chacun des deux termes d’une contradiction : alors, par conséquent, n’existerait pas cet ordre, purement

  1. François de la Marche, loc. cit., fol. 165, col. d.