Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
455
LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

» Je dis qu’il en est de même dans le domaine du successif ; c’est-à-dire qu’il y a, pour le mouvement, à l’égard du temps qui le mesure, deux sortes d’ordre, l’ordre des parties du mouvement au sein du mouvement total, et l’ordre qu’ont les parties de ce même mouvement à l’égard du temps qui leur est extrinsèque.

» Comme diffèrent ces deux ordres-là, ainsi different ces deux ordres-ci ; et comme se comportent, à l’égard du lieu, les parties d’un continu [permanent], ainsi se comportent, à l’égard du temps, les parties d’un [continu| successif. »

Ainsi, pour François de la Marche, cette proposition : Un mouvement s’accomplit dans un certain temps, est toute semblable à celle-ci : Un corps réside dans un certain lieu. De même qu’un corps, tout en restant numériquement identique à lui-même, peut résider successivement en des lieux différents, de même un mouvement, tout en restant numériquement identique à lui-même, peut s’accomplir successivement dans des temps différents. Lorsqu’un même corps est placé successivement dans des lieux différents, la disposition des diverses parties de ce corps les unes à l’égard des autres demeure la même, bien que la position de ces parties à l’égard du lieu ambiant soit changé. Semblablement, lorsqu’un même mouvement s’accomplit en des temps différents, il y a changement dans l’ordre, à l’égard du temps, des diverses parties de ce mouvement ; mais ces parties, considérées les unes par rapport aux autres, continuent à se succéder dans le même ordre.

Dans ce raisonnement, nous reconnaissons une réminiscence de Duns Scot ; mais la comparaison entre le temps et le lieu mettent la pensée du Docteur Subtil dans une pleine clarté ; peut-être, il est vrai, pourrait-on prétendre que cette clarté est factice.

François trouvait, d’ailleurs, des contradicteurs ; « le temps, lui disait-on, ne diffère pas du mouvement ; il est donc impossible aux parties du mouvement d’avoir un ordre dans le mouvement sans avoir un ordre dans le temps. »

Pour répondre, c’est encore à la comparaison tirée du lieu qu’il a recours.

« Le lieu n’est pas plus différent de la grandeur permanente que le temps ne l’est du mouvement. Le lieu, c’est la partie ultime du corps contenant ; c’est donc une même chose qui est quantité à l’égard du corps dans lequel elle subsiste d’une manière formelle, qui lui sert de sujet, et qui est lieu à l’égard du corps qui lui est extrinsèque, du corps qu’elle contient. Je parle d’une façon semblable du mouvement et du temps. » C’est une même chose