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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Il est, dit notre auteur[1], deux façons de répondre. L’une prétend que, par la vertu divine, tout être permanent peut revenir. L’autre admet qu’il en est de même aussi bien des êtres successifs que des êtres permanents, à l’exception du temps. »

Dans la première réponse, nous reconnaissons celle de saint Thomas d’Aquin, de Godefroid de Fontaines, de Gilles de Rome ; dans la seconde, nous retrouvons celle de Duns Scot et de François de Mayronnes.

« Pour moi, déclare François de la Marche[2], je dis que toute chose, tant permanente que successive, après avoir été détruite, peut être réparée par Dieu avec son identité numérique. » Et, de cette affirmation, il n’excepte meme pas le temps.

Qu’une substance permanente, après avoir été anéantie, puisse être reproduite, numériquement identique à ce qu’elle a été, tous les prédécesseurs de François font accordé à la puissance divine ; François n’a donc, ici, rien innové, et il n’est pas utile d’insister sur ce qu’il dit à ce sujet.

Venons-en de suite à cette affirmation : Deux mouvements, accomplis en des temps différents, et séparés l’un de l’autre par une certaine durée, peuvent être numériquement identiques entre eux, ne constituer qu’un seul et même mouvement.

Cette proposition, Jean de Duns Scot et Guillaume d’Ockam l’avaient admise avant François de la Marche ; mais pour la rendre recevable à la raison de son auditeur, François invoque des motifs auxquels ses prédécesseurs n’eussent point recouru ; ces motifs sont tirés, en effet, de l’étroite analogie que notre auteur a établie entre le temps et le lieu.

« Pour rendre cette proposition évidente, dit-il[3], voici ce qu’il faut savoir ; Ce qui est vrai de la quantité permanente extrinsèque, c’est-à-dire du lieu, à l’égard du corps logé, est également vrai de la quantité successive [extrinsèque], c’est-à-dire du temps, à l’égard du mouvement.

» Or la quantité permanente nous présente deux sortes d’ordre : L’ordre des parties au sein du tout, et l’ordre des parties à l’intérieur du lieu. Le premier de ces deux ordres peut, d’ailleurs, subsister, abstraction faite du second ; on le voit clairement par l’Eucharistie, où le corps de Jésus-Christ est tout entier dans l’hostie tout entière, et tout entier aussi dans chacune des parties de l’hostie.

  1. François de la Marche, loc. cit., fol. 165, col. a.
  2. François de la Marche, loc. cit., fol. 165, col. b.
  3. François de la Marche, loc. cit., fol. 165, col. b.