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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

revenir numériquement identiques à elles-mêmes, les mêmes coexistences de ces parties à la première Intelligence pourront aussi revenir.

» Mais peut-être objecterez-vous qu’alors le passé serait le futur et inversement, ce qui implique contradiction. »

À cette objection, Bonet répond de la manière suivante : « Cette chose à laquelle vous donnez le nom de passé peut-être la même chose que celle à laquelle vous donnez le nom de futur. » Mais cette chose n’est pas purement et simplement le passé ni le futur. Lorsqu’on appelle cette chose : le passé, en même temps qu’on désigne cette chose, on « connote » la négation du présent et du futur ; de même, lorsqu’on appelle une chose : le futur, on désigne la chose et, en même temps, on connote la négation du passé et du présent. Il peut donc arriver qu’on attache le nom de passé et le nom de futur à une même chose ; « il n’en résulte pas que le passé puisse être le futur et inversement, » car, dans les deux cas, la connotation n’est pas la même.

Maintes fois nous avons attiré l’attention du lecteur sur les tendances platoniciennes qui sollicitent la raison de Nicolas Bonet ; nous avons vu, d’ailleurs, que notre Franciscain ne méconnaissait pas sa prédilection pour la pensée de Platon. N’avons-nous pas ici une nouvelle occasion de répéter les remarques déjà faites ? Voici que Bonet n’hésite pas à regarder comme possible un retour indéfini d’un temps numériquement identique à lui-même ; voici qu’il se refuse à reconnaître aucune contradiction dans ce temps périodique que les Néo-platoniciens avaient tous enseigné.

Ne nous étonnons pas à l’excès, toutefois, de l’audace de Bonet ; il n’était ici qu’un imitateur ; il avait trouvé son modèle dans Guillaume d’Ockam.

François de la Marche s’inspire également de l’enseignement d’Ockam.

Voici la question qu’il examine[1] :

« La vertu divine peut-elle faire que quelque forme ou quelque chose revienne, numériquement identique à ce qu’elle était ? Est-ce possible pour toute forme permanente ? Est-ce possible pour le mouvement ? Est-ce possible pour le temps ? »

  1. Reportatio 4i libri Sententiarum Magistri Francisci de Marchia fratris minoris et sacre theologie doctoris ; dist. XLIII, quæst. II : Adhuc circa distinctionem 43 quero utrum virtute divina possit redire aliqua forma vel aliqua res eadem numero ; secundo si forma permanens ; 3o si motus ; 4o si tempos (Bibl. Nat., fonds latin, ms. 3071, fol. 164, col. c à fol. 165, col. d).