Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

De la doctrine qu’il vient d’exposer, Buridan doit les principes essentiels à renseignement d’Ockam ; il s’écarte en un point, cependant, de la tradition du Venerabilis Inceptor, et la divergence est d’importance, puisqu’il s’agit de la signification exacte qu’il convient d’attribuer aux propositions de la Géométrie.

Au gré d’Ockam, ces propositions n’ont qu’une valeur conditionnelle : Elles seraient vraies s’il existait des indivisibles, des points, des lignes et des surfaces ; puis donc que ces indivisibles n’existent pas, les postulats et les théorèmes de la Géométrie apparaissent comme dénués de tout objet.

Une telle conclusion n’était pas de nature à plaire aux mathématiciens ; Ockam s’en mettait sans doute fort peu en peine, car il paraît avoir tenu les géomètres en médiocre estime. À ceux qui s’étonneraient de lui voir démontrer avec soin qu’une grandeur continue ne se compose pas d’indivisibles, alors qu’il a précédemment. établi la non-existence de tels indivisibles, il répond[1] : « Sans doute, pour établir la première proposition, c’était un moyen suffisant que de prouver la non-existence de tout indivisible ; toutefois, les autres démonstrations ne seraient pas superflues, et spécialement dans le cas actuel. Prouver, en effet, que rien n’est indivisible parmi les choses d’ici-bas, cela ne peut se faire que par des raisons subtiles que les mathématiciens et les personnes peu exercées en Métaphysique et en Logique ne sauraient comprendre. Mais prouver qu’une grandeur continue ne se compose pas d’indivisibles, lors même qu’il existerait de tels indivisibles, cela se peut faire par des raisonnements qui apparaissent mieux aux mathématiciens et aux autres personnes, quelles qu’elles soient. »

Telle que Buridan l’a exposée, la théorie de la non-existence des indivisibles ne risque plus de scandaliser les mathématiciens ; ils voient clairement, maintenant, en quoi leurs raisonnements sont légitimes. Grâce au philosophe de Béthune, cette théorie de Guillaume d’Ockam, de Durand de Saint-Pourçam, de Grégoire de Rimini a atteint sa forme parfaite. Il n’y sera plus rien ajouté d’essentiel.

Albert de Saxe se borne à résumer d’une manière très sommaire[2] la doctrine de Jean Buridan.

  1. Gulielmi de Ockam Tractatus de Sacramento Altaris, De distinctione puncti1 lineæ… Primo : Utrum punctus sit res absoluta. Ed. cit., fol. sign. B, col. d,
  2. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de Physica Auscultatione Aristotelis ; lib. VI, quœst. I.