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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

raliter eædem manent) ». Richard de Middleton et Duns Scot étaient moins exigeants ; ils se contentaient, pour la cause active, qu’elle fût spécifiquement la même ; l’identité numérique n’était requise que du sujet, de la portion de matière soumise à l’action de cette cause.

Si les causes naturelles peuvent reproduire une substance numériquement identique à une substance précédemment anéantie, Dieu, certainement, ne sera point privé de ce pouvoir. « Mais[1] qu’en sera-t-il au sujet du mouvement ? — Il semble qu’à des époques différentes puisse exister un même mouvement. »

« Mais Dieu peut-il restaurer un même temps ? — Il me semble que si ce qui possède un flux irréparable était restauré dans son unité numérique, deux contradictoires seraient vrais simultanément. — Videtur mihi quod si habens fluxum irreparabilem idem numero repararetur, contradictoria essent simul vera. »

Pour François de Mayronnes, l’écoulement du temps est essentiellement irréparable ; la théorie néo-platonicienne d’un temps périodique est une absurdité.

Nicolas Bonet, si souvent fidèle à l’enseignement de François de Mayronnes, en est ici le contradicteur formel.

S’il est une proposition qui se puisse affirmer du temps tel que nous le concevons, du temps mathématique, c’est bien celle-ci : Toute partie du temps qui a été ne sera plus ; le temps passé ne revient pas. Mais de ce que cette proposition est certaine au sujet du temps mathématique, il n’en résulte pas qu’elle le soit du temps tel qu’il est dans la réalité extérieure à notre esprit. De ce dernier, donc, il ne sera pas absurde de poser la question suivante[2] : « Ces parties du temps qui passent soudainement peuvent-elles, par la force de quelque agent, exister de nouveau, puis cesser d’être, revenir encore et ainsi de suite à l’infini ? »

À cette question, voici la réponse de Bonet : « Cherchez d’abord si un même mouvement, numériquement le même, peut, ou non, revenir plusieurs fois. Si oui, en effet, les parties du temps, elles aussi, pourront revenir plusieurs fois. Voici la raison de cette affirmation : toutes les fois que reviennent un même fondement et un même terme, peut aussi revenir une même relation entre ce fondement et ce terme ; si donc les parties du mouvement peuvent

  1. Francisci de Mayronis Op. laud. dist. XLIV, quæst. IV : Utrum omnia quæ sunt in universo Deus potest reparare eadem numero (Francisci de Mayronis Opera, éd. cit., loc. cit.).
  2. Nicolai Boneti Op. laud., lib, VI, cap. VII ; ms. no 6.678, fol. 163, vo et fol. 164 ro ; ms. no 16.132, fol. 129, coll. c et d et fol. 130, col. a.