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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

arrive dans toutes les actions naturelles, de ce que toutes les causes, tant supérieures qu’inférieures, sont approchées du patient, soit de la même manière, soit de différentes façons. Qu’un degré, dans un mouvement d’augmentation, soit produit avant un autre, cela provient, si l’on parle un langage de physicien (naturaliter loquendo) de la diversité dans la disposition et dans la distance des corps célestes. C’est là ce que doit dire le philosophe. Si l’on suppose donc que tous les agents, tant supérieurs qu’inférieurs, soient approchés du patient de même manière, l’effet sera absolument identique. — Et hoc habet philosophus dicere. Ideo ponens quod omnia agentia superiora et inferiora eodem modo approximentur passo, erit omnino effectus idem. — Par conséquent, si l’on supposait qu’il en fût ainsi dans le mouvement d’augmentation, ou bien toutes les parties de la forme seraient simultanément produites, ou bien il ne s’en produirait aucune. »

Le rapprochement de ces divers passages nous paraît fort clair. Si l’on parle en physicien, en philosophe, voici ce qu’on doit dire : Quand tous les corps célestes reprendront identiquement une disposition déjà prise, on verra se produire des effets qui, tous, seront numériquement identiques aux effets déjà produits ; en particulier, dans une matière identique, reviendront des âmes qui seront numériquement les mêmes que celles par lesquelles cette matière fut jadis informée. C’est sens sa forme la plus absolue, la doctrine de la Grande Année. Elle séduisait encore, au xive siècle, le critique le plus pénétrant et le plus audacieux.

Aucun des contemporains de Guillaume d’Ockam, aucun de ses successeurs immédiats ne semble avoir montré pareille faveur à la théorie de la Grande Année.

François de Mayronnes partage jusqu’à un certain point l’opinion de Duns Scot ; qu’une substance détruite puisse être, par voie naturelle, rétablie dans son identité numérique, cela ne lui paraît pas impossible. « Là où la cause totale est la même, dit-il[1], le même effet peut être également, car la diversité des effets provient d’une diversité dans les causes ; là donc où les causes sont numériquement les mêmes, l’effet peut être numériquement le même ; s’il y a même agent et même sujet, il y aura même terme. — J’accorde que ce raisonnement est valable à condition que les causes demeurent numériquement les mêmes (ex quo causæ nume-

  1. Francisci de Mayronis Scriptum super quartum librum sententiarum, dist. XLIV quæst. IV : Utrum virtute naturali possit idem numero reparari Francisci de Mayronis Opera, Venetiis, impensis heredum Octaviani Scoti, 1520, fol. 219, col. d).