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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

toutes les substances, par voie naturelle, reviendront périodiquement suivant un cycle indéfiniment répété ? Duns Scot ne le pense pas ; et la raison pour laquelle il ne le pense pas mérite d’être attentivement examinée.

Contre la possibilité de réparer par voie naturelle l’identité numérique d’une substance précédemment anéantie, certains faisaient une objection que le Docteur Subtil nous rapporte en ces termes[1] :

« Dans toute corruption, il y a division de la matière de la substance qui avait été précédemment engendrée ; la nouvelle substance engendrée ne l’est donc pas aux dépens de toute la matière qui a préexisté dans la substance détruite ; ainsi, par la suite, se fera-t-il une division toujours plus grande de la matière. Si donc, par l’effet d’une circulation quelconque, il y a retour à une chose de même espèce qu’une chose autrefois détruite, la seconde chose ne contiendra pas en totalité la matière même de la première ; la seconde chose ne sera donc pas la même que la première, car l’identité numérique requiert même matière et même forme. »

Jean de Duns ne regarde pas cette objection comme valable. « Cette raison ne nous doit point émouvoir, dit-il[2] ; en dépit de la division de la matière, il est au moins une certaine partie de la matière qui demeure la même ; si donc la diversité de la matière est le seul obstacle au retour d’une même forme, dans cette partie-là de la matière, on verrait revenir la même forme qu’auparavant ; la nouvelle substance engendrée serait, en partie, numériquement identique à celle qui a naguère existé ; en partie, elle serait différente…

» D’ailleurs, on pourrait, d’une manière naturelle, conserver la même matière sans qu’elle éprouvât aucune division. Supposons qu’en vase clos, du feu soit changé en air et qu’inversement, la totalité de cet air reprenne l’état de feu. Il n’y a point là de dispersion de matière. À l’objection précédente, voilà donc une réponse : Il n’est nullement nécessaire que la matière de la substance préexistante soit divisée lors de la corruption de cette substance. »

Tout en rejetant cette théorie qui voit, en toute réaction chimique, une dispersion toujours plus grande de la matière première, Duns Scot nous avoue[3] qu’il en garde quelque chose ; et ce qu’il en garde mérite de retenir notre attention.

  1. Joannis Duns Scoti Quæst. cit., 2a opinio.
  2. Joannis Duns Scoti Quæst. cit., quantum ad istum articulum.
  3. Joannis Duns Scoti Quæst. cit., de secundo articulo principali.