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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

masse de feu aura été, par corruption, résolue en cette même partie de la matière au moyen de laquelle il a été engendré, de cette même partie de manière, c’est numériquement le même feu qui sera régénéré quand le même agent naturel sera ultérieurement appliqué à cette partie de la matière.

» Mais, direz-vous, un agent naturel n’agit qu’au moyen de son influence, et cette influence ne redeviendra jamais numériquement identique à ce qu’elle a été. Cela ne fait point difficulté ; il suffit du retour d’une influence semblable. De telle partie de la matière, par tel feu, a été engendré telle masse de feu ; une masse de feu identique à celle-là serait engendré si, à la même partie de matière, on appliquait un second feu semblable de tout point, à une différence numérique près, au feu qui a précédemment engendré ladite masse de feu. »

Rien de plus logique que cette doctrine pour le fidèle péripaléticien qui, dans la matière quantifiée, met le principe d’individuation. Pour lui, ce qui caractérise chacun des individus où se rencontre une même forme spécifique, c’est la portion de matière à laquelle cette forme est associée ; pour que deux individus de même espèce soient numériquement différents, il faut et il suffit qu’en eux, la même forme spécifique soit combinée à deux portions différentes de matière première ; si donc, à deux époques distinctes, une même forme spécifique s’unit à une même portion de matière première, on n’aura pas simplement deux individus de même espèce ; dans les deux cas, on aura un seul et même individu. Saint Thomas d’Aquin eût été, semble-t-il, conséquent avec ses propres principes en professant cette opinion que devait défendre Richard de Middleton.

Jean de Duns Scot, après avoir exposé en détail la théorie de Richard de Middleton[1], déclare[2] qu’il la regarde comme plus probable que toute autre opinion. « Si la même matière, sans aucun empêchement, est approchée du même agent[3], la même chose peut être reproduite ; et non seulement par un agent qui serait numériquement le même, mais encore par un agent qui serait le même au point de vue de l’espèce : car, pour l’agent, l’identité spécifique équivaut à l’identité numérique. »

De ce que les causes naturelles peuvent restaurer dans son identité numérique une substance détruite, en faut-il conclure que

  1. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense, lib. I, dist. XLIII, quæst. III : Utrum natura possit esse causa activa resurrectionis ; 3a opinio.
  2. Joannis Duns Scoti Quæst. cit., quantum adistum articulum.
  3. Joannis Duns Scoti Quæst. cit., de secundo principali.