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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

réparer un mouvement en lui rendant son identité numérique. » Sa réponse est si exactement calquée sur celle de saint Thomas d’Aquin qu’il est inutile de la détailler.

C’est aussi une paraphrase, ou peu s’en faut, de la thèse de saint Thomas d’Aquin que nous donne Gilles de Rome[1].

À la question examinée par saint Thomas d’Aquin, par Godefroid de Fontaines, par Gilles de Rome, certains de leurs contemporains donnaient, sans doute, des réponses moins réservées que celles dont nous venons de rendre compte. Il se trouvait alors des maîtres pour adhérer à la théorie de la Grande Année ; les condamnations portées par l’autorité ecclésiastique nous en donnent le témoignage ; en 1277, Étienne Tempier était contraint de frapper d’excommunication ceux qui soutiendraient cette erreur[2] : « Lorsque tous les corps célestes reviendront au même point, ce qui aura lieu dans trente-six mille ans, on verra revenir tous les effets qui se produisent maintenant. »

De la séduction que la théorie de la Grande Année exerçait sur les maîtres les plus orthodoxes, les plus respectueux des anathèmes portés par l’Évêque de Paris, Richard de Middleton, nous fournira la preuve.

« Lors de la résurrection, la nature sera-t-elle la cause efficiente qui reformera les corps humains ? » Telle est la question que Richard va discuter[3]. La solution dont l’examen le préoccupe, c’est celle que proposaient les Néoplatoniciens.

« À cette question, certains ont donné la réponse suivante : Toutes les choses naturelles sont disposées par l’influence des corps célestes ; lors donc que toutes les parties du ciel reviendront aux places qu’elles occupaient au moment de leur création, alors tous les corps soumis à la génération et à la corruption reviendront, et seront numériquement les mêmes que ceux qui existaient à cet instant… Or, cette disposition du Ciel se produira au bout de trente-six mille ans comptés à partir de l’instant où le firmament fut créé.

» Ils disent de même qu’à commencer en un moment quelconque, tous les corps soumis à la génération et à la corruption qui

  1. Cette erreur est la sixième du décret porté en 1277 et la quatre-vingt-douzième de la liste classée par le R. P. Mandonnet.
  2. Œgidii Romani. Theoremata de corpore Christi. Theorema I (Quodlibet domini Egidii Romani Theoremata eius dem de corpore Christi. Guliermus Ocham de sacramento altaris. Colophon : impressum Venetijs per Simonem de Luere : Impensis domine Andrei Torresani de Asula, 18 Januarij 1502, fol. 89).
  3. Clarissimi Theologi Magistri Ricardi de Media Villa Super quatuor libros Sententiarum Petri Lombardi quæstiones subtilissimæ. Tomus quartus. Brixiæ, MDXCI. Lib. IV, dis. XLIII, art. III, quæst. I, pp. 559-561.