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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

suivi d’une restauration qui lui rende son identité numérique, n’implique aucune contradiction ?

Le Doctor communis va poser une distinction :

« Il est des choses dont l’unité implique, dans sa nature même, la continuité de la durée ; se voit clairement pour le mouvement et le temps ; l’interruption d’une telle chose est directement contraire à l’unité numérique de cette chose. Mais ce qui implique contradiction n’est pas au nombre des œuvres possibles à Dieu… Si donc une chose de ce genre a été anéantie, Dieu ne peut la restaurer de telle façon qu’elle soit numériquement la même.

» Il est d’autres choses dont l’unité n’implique pas, dans sa d’une chose permanente ; [si elle implique la continuité de durée], ce n’est que par accident, en tant que son existence est sujette au mouvement. »

Dès lors, qu’une telle chose permanente soit anéantie, puis restaurée dans son unité numérique, cela n’est plus contradictoire. En résulte-t-il que cela se pourra faire naturellement ? Non point. Un agent naturel, en effet, ne peut produire une telle chose que par le mouvement ; pour qu’il pût, après anéantissement, la reproduire numériquement identique à ce qu’elle était avant cet anéantissement, il faudrait qu’il pût déterminer un mouvement numériquement identique à celui qui avait, une première fois, engendré cette chose ; mais nous savons qu’un mouvement interrompu ne saurait être restauré, numériquement identique à lui-même.

Un agent naturel, contraint d’opérer par mouvement, ne peut donc ressusciter, en lui rendant son unité numérique, une chose permanente, qui a été anéantie. Mais il n’en est plus de même de Dieu, qui peut opérer par création.

Saint Thomas d’Aquin refuse donc aux agents naturels le pouvoir de restaurer une chose anéantie, en la rendant numériquement identique à ce qu’elle était avant son anéantissement, qu’il s’agisse, d’ailleurs, d’une chose permanente ou d’une réalité successive comme le temps et le mouvement. Ce qu’un agent naturel ne peut faire, Dieu le peut, s’il s’agit d’une chose permanente ; mais Dieu même ne peut ramener, numériquement identique à ce qu’il était, ni un mouvement ni un temps qui a été interrompu.

Godefroid de Fontaines examine, lui aussi[1], « Si Dieu peut

  1. Magistri Godefridi de Fontibus Quodlibeta ; quodlib. VI, quæst. II : Utrum Deus possit eumdem motum numero qui fuit reparare [Les Quolibet cinq, six et sept de Godefroid de Fontaines, publiés par M. De Wulff et J. Hoffmans (Les Philosophes Belges, t. III), Louvain, 1914, pp. 110-112].