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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

réelle, de l’esse cognitum à l’esse realis existentiæ, le nombre cesse d’être.


XVIII
La Grande Année et la périodicité du temps


L’idée de temps est, pour nous, invariablement liée à la pensée d’un écoulement qui se poursuit toujours dans le même sens, sans qu’aucun retour en arrière se puisse concevoir ; c’est une proposition banale que celle-ci : Le temps passé ne revient pas.

Au contraire, la plupart des philosophes néo-platoniciens se plaisaient à considérer le temps comme le mouvement d’une roue qui tourne sans fin et qui, à chaque révolution, mesurée par une Grande Année, ramène les memes choses[1]. Si certains se contentaient d’affirmer l’identité spécifique des êtres périodiquement reconstitués, beaucoup voulaient que cette restauration allât jusqu’à restituer aux choses leur identité numérique.

Ces théories sur la périodicité du temps et sur la révolution de la Grande Année semblent avoir très vivement sollicité l’attention des docteurs chrétiens du Moyen Âge. L’ampleur avec laquelle saint Augustin les avait discutées dans la Cité de Dieu n’était pas faite pour diminuer cet intérêt. D’autre part, il se trouvait accru par une certaine analogie entre le dogme chrétien de la résurrection de la chair et la doctrine platonicienne qui, au terme de chaque Grande Année, ramenait une même âme dans un même corps.

De cet intérêt suscité par la doctrine de la périodicité du temps, nous trouvons mainte trace dans les discussions scolastiques de la fin du xiiie siècle ou du xive siècle. Relever quelques-unes de ces traces est, pour nous, besogne indispensable si nous voulons achever notre tableau des théories du temps au Moyen Âge.

Dans un de ses Quolibets, saint Thomas d’Aquin discute la question suivante[2] : « Si une chose a été anéantie, Dieu peut-il reconstituer une chose qui soit numériquement la même ? »

Saint Thomas accorde à Dieu, cela va sans dire, le pouvoir de faire tout ce qui n’implique aucune contradiction. La question est donc ramenée à celle-ci : Est-il une chose dont l’anéantissement,

  1. Voir Première partie : tome I, chap. II, § X, p. 65 ; chap. IV, § V, pp. 164-169 ; chap. V, § VI, p. 270 et § VII, p. 284. Tome II, chap. XII, § V. p. 214. Seconde partie : t. II, chap . I, § VIII, p. 447.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlibeta ; quodlib. IV, art. V : Si aliquid esaet in nichilum redactum, utrum Deus possit illud reparare idem numero.