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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS


XVII
Le problème de l’horloge absolue. — Conclusion


Tout mouvement local suppose un terme ou lieu fixe auquel les positions du mobile soient successivement comparées. Quel est donc ce terme qui ne saurait être mû, et auquel tout mouvement local est rapporté ? C’est, dit Aristote, la Terre ; car il est contradictoire de supposer que la Terre, centre des circulations célestes, put être mise en mouvement. Erreur, répondent Étienne Tempier et les docteurs de Paris ; Dieu pourrait, s’il lui plaisait, imposer un mouvement de translation à l’Univers entier et à la Terre qui se trouve en son centre. Le lieu fixe auquel tous les mouvements locaux sont rapportés, déclare alors Guillaume d’Ockam, ce n’est ni la Terre ni aucun corps qui existe réellement dans la nature, car tous les corps de la nature sont ou peuvent être en mouvement ; ce repère, c’est tout simplement un corps imaginé ; c’est, ajoute Bonet, un simple concept, une figure géométrique qui existe seulement de l’esse cognitum, au sein de la raison du mathématicien. Par là, toute la théorie péripatéticienne du lieu et du mouvement s’est trouvée bouleversée.

Tout changement s’accomplit dans le temps. La détermination de ce temps suppose l’existence d’un mouvement privilégié, absolument uniforme, qui marque la durée de tous les autres changements. Où se trouve cette horloge première ? Cette horloge première, dit Aristote, c’est le mouvement diurne du premier mobile. Comme le premier mobile est parfait et divin, il est nécessaire que son mouvement soit une rotation absolument uniforme. D’ailleurs, comme il ne peut exister qu’un seul Monde, cette horloge unique marque le même temps pour tous les mouvements qui s’accomplissent au Ciel et sur la Terre. Erreur, proclament Étienne Tempier et ses conseillers, car Dieu pourrait, s’il lui plaisait, imprimer au Ciel un mouvement de translation ; erreur, car Dieu pourrait, s’il le voulait, créer plusieurs Mondes. Alors, Nicolas Bonet et Grazadei déclarent que le mouvement parfaitement uniforme, l’horloge exactement réglée qui marque la durée de tous les changements n’existe pas dans la nature ; c’est un pur concept qui réside en l’esprit du mathématicien ; que le Ciel suprême accélère ou retarde sa course, peu importe ;