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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

choses temporelles, y a-t-il un seul et même temps ou bien peut-il y avoir plusieurs temps à la fois ?

» Évidemment, on doit répondre d’une façon au point de vue de l’existence naturelle, et d’une autre façon au point de vue de l’existence mathématique.

» Au point de vue de l’existence naturelle que le temps possède hors de l’âme, il est manifeste qu’il n’y a pas, pour toutes les choses temporelles, un temps unique ; il n’y a pas, en effet, seulement un mouvement, mais des mouvements multiples ; or, la multiplicité des mouvements entraîne la diversité et la multiplicité des temps, car, dans l’existence naturelle, la multiplicité des sujets entraîne la multiplicité des passions dont ils sont affectés.

» Il est clair que le mouvement de la roue d’un potier a, à l’égard de la première Intelligence, une autre coexistence que le mouvement d’un navire ou que le mouvement du Ciel. De même, s’il existait plusieurs Mondes, il y aurait plusieurs Cieux, partant plusieurs mouvements premiers au même titre, et donc plusieurs temps.

» On peut encore le montrer par ce raisonnement :

» Il en est ainsi de toute grandeur permanente continue ; cela est évident, car la ligne de deux pieds qui existe dans un morceau de bois n’est pas la même que la ligne de deux pieds qui existe dans une pierre. Il en est encore de même de la quantité discontinue ; le nombre de dix chevaux concrétisé dans des chevaux n’est pas le même que le nombre de dix chiens concrétisé dans des chiens, de même que l’unité de cheval, qui consiste en un cheval, n’est pas la même chose que l’unité de chien, qui consiste en un chien. De la même manière, le temps pris matériellement et dans son existence naturelle, est différent à l’égard des mouvements divers ; pour les choses temporelles, il n’existe pas un temps unique ; il y a, à la fois, plusieurs temps.

» Selon la considération mathématique, au contraire, il y a évidemment un temps unique pour toutes les choses temporelles ; la multiplicité des mouvements n’entraîne pas, pour le temps, une égale multiplicité.

» Prenons exemple de la quantité discontinue.

» Le mathématicien considère le nombre dix après l’avoir séparé, par abstraction mathématique, de toutes les choses, il le peut alors appliquer, à titre de mesure, à plusieurs ensembles qu’il veut mesurer, à des chevaux, puis à des chiens ; il n’en résultera pas plusieurs nombres dix. C’est ce que disent Aristote et