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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

qu’éprouve son sujet. » En d’autres termes, le mathématicien ne conçoit pas une ligne qui se contracte ou se dilate, mais seulement une seconde ligne, de longueur invariable, plus courte ou plus longue qu’une première ligne, également de longueur fixe. « La Mathématique fait abstraction de tout mouvement ou changement éprouvé par le sujet ; partant la ligne ainsi considérée ne change aucunement par l’effet du changement de son sujet. On dit donc bien que la Mathématique traite de choses absolument immobiles. »

Bonet exprime fort exactement ici la pensée d’Euclide et des géomètres grecs qui évitaient avec grand soin d’introduire, dans aucune démonstration de la Géométrie, la considération du mouvement[1].

« Il en faut dire autant, poursuit noire auteur, de la ligne successive du temps. Le mathématicien considère la durée d’une révolution diurne, et cette ligne successive, il la sépare par abstraction de toute matière et de tout mouvement ; aussi, à l’égard de l’existence qu’elle a dans son sujet, cette durée pourrait-elle être, tout comme ce sujet même, multipliée, changée, allongée, raccourcie ; pour la considération mathématique, cette ligne successive n’en est pas moins absolument invariable ; elle ne peut être ni allongée ni raccourcie.

» Autre exemple : Une durée future, telle que la durée de l’année prochaine, pourrait être abrégée, ainsi que les révolutions qui auront lieu pendant cette année ; il n’est pas contradictoire, en effet, que par suite d’un accroissement de force du moteur qui les produit, toutes les révolutions d’une année se puissent accomplir en un mois ou en un jour. Mais en tant que le mathématicien, pour concevoir cette ligne successive, cette durée de l’année prochaine, la sépare par abstraction de tout sujet, cette ligne ainsi conçue ne peut plus être ni allongée ni raccourcie ; elle garde toujours même grandeur.

» On dit donc bien que les mathématiciens font abstraction de tout changement et de tout mouvement ; tout ce qui est considéré au point de vue mathématique est absolument immobile et invariable… »

« Traitons maintenant[2] de l’unicité du temps. Pour toutes les

  1. Voir, à ce sujet : G. Milhaud, Le Traité de la Méthode d’Archimède (Revue Scientifique, oct. 1908) — G. Milhaud, Nouvelles études sur l’Histoire de la Pensée scientifique, Paris, 1911, pp. 144-147.
  2. Nicolai Boneti Op. laud., lib. VI, cap. VI ; ms. no 6.678, fol. 163, ro et vo ; ms. {n°|16.132}}, fol. 129, coll. a, b et c.