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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

de vue de l’existence naturelle ; on considère le temps suivant qu’il existe en tel ou tel mouvement. D’une autre manière, on considère le temps comme séparé par abstraction de ce mouvement-ci aussi bien que de celui-là ; une telle considération concerne l’existence mathématique.

» Revenons maintenant[1] à ce qui est en question, et parlons du temps d’abord au point de vue de l’existence naturelle, puis au point de vue de l’existence mathématique.

» Du temps considéré dans son existence naturelle, pris comme existant dans tout mouvement, il faut répéter ce qu’on a dit du mouvement ; il faut le répéter au sujet de la simultanéité des parties du temps et au sujet de l’unicité du temps.

» De même que toutes les parties d’un mouvement peuvent être successivement produites en un temps plus long ou en un temps moins long,… de même toutes les parties d’un temps peuvent être produites en une succession plus considérable ou dans une succession moindre… Cela se comprend clairement par l’exemple que nous a fourni la ligne de deux pieds. Prise au point de vue de l’existence qu’elle a dans une matière, dans une masse d’eau ou d’air par exemple, cette longueur peut être raccourcie ou allongée par l’effet de la condensation ou de la raréfaction de son sujet ; cette ligne de deux pieds peut devenir ligne d’un pied ou ligne de trois pieds ; elle peut devenir moindre que trois pieds ou plus grande, selon que la raréfaction du sujet qui la porte est moindre ou plus grande. De même, en ce qui concerne l’existence réelle et passive qu’elle possède hors de l’âme, la ligne successive d’un mouvement ou d’un temps peut se trouver raccourcie ou allongée.

» Mais au point de vue de l’existence mathématique, la considération du temps diffère grandement de la précédente. Pris en son existence mathématique, abstraite de toute matière sensible, un temps ne peut plus être ni allongé ni abrégé…

» Prenons exemple de la ligne de deux pieds, qui existe [réellement] dans un morceau de bois, mais que le mathématicien considère sans considérer le bois [dans lequel elle réside]. Cette ligne, dis-je, ne peut plus être ni raccourcie ni allongée ; elle ne peut pas devenir une ligne qui n’aurait pas deux pieds, et cela, de quelque quantité que la ligne qui se trouve dans le morceau de bois puisse se contracter ou se dilater par suite du changement

  1. Nicola Boneti Op. laud., lib. VI, cap. V ; ms. no 6.678, fol. 162, vo, et fol. 163, ro ; ms. no 16.132, fol. 128, coll., c et d, et fol. 129, col. a.