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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ne peut pas y avoir, à la fois, plusieurs états instantanés ; il n’y a donc pas, non plus, plusieurs instants présents.

» Je vous répondrai, tout d’abord, que ce que vous admettez n’est point exact ; ce n’est pas l’état instantané acquis dans le mouvement du premier mobile qui est, d’une manière exclusive, le sujet de l’instant présent ; ce sont aussi les autres états instantanés acquis dans les autres mouvements.

» Voici la raison de cette affirmation :

» Tout état instantané, acquis en n’importe quel mouvement, a sa coexistence propre à l’égard de l’éternité de la première Intelligence, tout comme l’état instantané acquis par le mouvement du premier mobile ; cet état instantané a donc son instant présent particulier, qui est sa mesure propre et intrinsèque ; cet instant présent, qui a pour sujet l’état instantané du premier mobile, ne mesure pas les états instantanés des autres mouvements, si ce n’est à titre de mesure extrinsèque ; en dehors donc de cet instant présent extrinsèque, tout état instantané a sa mesure propre et intrinsèque qui réside en lui, et dont il est le sujet.

» Lors même, d’ailleurs, que les états instantanés acquis dans les mouvements des choses sublunaires n’auraient pas, chacun, son instant présent particulier, vous ne tiendriez pas encore ce à quoi vous tendez, savoir, qu’il n’y a précisément qu’un seul instant présent à la fois. Qu’il y ait, en effet, plusieurs Mondes, partant plusieurs mouvements premiers au même titre, donc plusieurs états instantanés acquis à la fois en ces divers mouvements, cela n’implique pas contradiction ; mais alors il y a plusieurs instants présents, qui résident en ces divers étais et qui les ont pour sujets ; en effet, la multiplicité des sujets entraîne la multiplicité des accidents ; si donc il y a plusieurs états instantanés, il y a aussi plusieurs instants présents, car il y a plusieurs coexistences de ces états instantanés à la première Intelligence.

» Vous allez m’objecter : Alors, en ce même instant présent où je vous accorde cela, il n’est pas vrai qu’un autre homme vive ? En ce même instant où je parle, la Seine ne coule pas ? — Je vous répondrai que ces choses n’ont pas lieu dans un instant présent qui soit réellement le même, mais dans un instant présent qui est seulement le même par équivalence ; par là, j’entends un instant présent qui est une mesure extrinsèque, et non pas une mesure intrinsèque.

» Voici, toutefois, ce qu’il vous faut remarquer avec soin : Cet instant présent n’est pas numériquement le même au point de vue de la considération physique ; il est numériquement le même au