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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

un peu ce qu’il dit du temps pour amener sa pensée jusqu’à toucher le but ; mais il semble qu’il n’ait pas voulu déclarer formellement qu’il l’avait atteint.

Seul, François de la Marche semble avoir clairement aperçu et formellement énoncé cette vérité : Nous sommes libres de choisir à notre guise, dans la nature, le corps en mouvement auquel nous attribuerons le rôle d’horloge, qui sera chargé de mesurer les autres mouvements et de marquer le temps ; le mouvement de ce corps sera, alors, régulier et uniforme par définition. Mais cette pensée de François d’Ascoli, réduite aux proportions restreintes de la réponse à une objection, n’a pu attirer bien vivement l’attention des contemporains et des successeurs de ce maître, ni leur signaler la route à suivre.

Lorsque Bonet s’engage dans une voie, il la poursuit jusqu’au bout ; il ignore les atermoiements et les demi-mesures ; c’est le caractère propre de son génie ; plusieurs fois, déjà, nous avons eu occasion de le remarquer ; nous allons le reconnaître de nouveau.

Il a nettement affirmé qu’il était inutile de chercher un lieu fixe, un corps immobile parmi les corps réels que la nature nous présente ; tous se meuvent ou sont susceptibles de se mouvoir, La recherche du lieu fixe n’a de sens qu’en des corps doués de la seule existence conceptuelle, de l’esse cognitum. Dans l’existence conceptuelle elle-même, il y a des degrés qui montent du moins abstrait au plus abstrait. Un corps peut être conçu comme formé de telle ou telle substance, comme doué de telle ou telle propriété physique ; il existe encore de l’existence physique (esse physicum) ; il est encore susceptible de mouvement. Le corps absolument immobile, c’est une simple figure que l’esprit a détachée de toute substance particulière, de toute propriété physique ; le lieu immobile, le terme absolument fixe auquel sont rapportés tous les mouvements locaux n’existe que de l’existence mathématique (esse mathematicum).

Cette doctrine, Bonet va l’étendre à la théorie du temps ; il va soutenir que l’horloge absolue, que le mouvement qui marque le temps à tous les autres mouvements, n’a pas d’autre existence que l’existence conceptuelle et mathématique. Il poussera même plus loin dans la voie de la généralisation ; il développera cette profonde pensée : En quelque ordre de grandeurs que ce soit, l’étalon fixe au moyen duquel la mesure se fait n’a pas d’autre existence que l’existence conceptuelle et mathématique.

Bonet va donc insister sur ces affirmations : Hors de notre esprit