Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
425
LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

nature ou de temps, mais sans qu’en une telle succession, l’affirmation d une chose implique la négation de l’autre. »

C’est à l’aide de cette distinction que Nicolas Bonet va résoudre l’objection qui lui est faite[1].

« L’objection qu’on appelle l’Achille de toutes les objections, c’est que le mouvement est essentiellement successif. Voici comment on la résout :

» Entendez-vous parler de la succession au premier sens du mot ? En disant qu’une partie succède à une autre, entendez-vous dire que l’affirmation de la partie suivante implique la négation de la partie précédente ? Il est faux qu’une telle succession existe de soi (per se, perseitate primi modi) dans le mouvement. Elle n’y existe que par accident. C’est d’une manière accidentelle que, dans le mouvement, lorsqu’advient une seconde partie, la première partie lui cède la place et cesse d’exister. Il ne semble en effet, que ces parties, qui paraissent être de même nature, répugnent à exister ensemble.

» Mais si vous entendez parler de la succession au second sens du mot, de cette succession qui n’est qu’un ordre de priorité, dis-je, d’origine ou de nature,… nous ne nions plus qu’une telle succession existe en tout mouvement ; mais une semblable succession entre les parties du mouvement ne répugne pas à leur existence simultanée dans le temps. »

La propagation de la lumière fournit à Bonet un exemple bien propre à expliquer sa pensée. Comme tous les physiciens de la Scolastique, à la seule exception de Nicolas d’Autrecourt, Bonet pense que cette propagation s’accomplit en un instant. Il y voit alors un mouvement instantané, un mouvement où subsiste une succession improprement dite, mais où la succession proprement dite ne se rencontre plus.

« Je prends pour exemple, dit-il[2], l’illumination de l’air ; sans doute, cette illumination ne s’accomplit pas dans le temps, mais en un instant ; en fait, ce n’est pas un mouvement qui soit successif de succession proprement dite, mais il pourrait l’être, car il y a là plusieurs illuminations qui se précèdent l’une l’autre par origine et par nature ; or, il ne semble pas impossible que la première partie de l’air fut éclairée avant la seconde, que cette première partie cessât d’être éclairée au moment où l’est la seconde,

  1. {sc|Nicolai Boneti}} Op. laud., lib. IV, cap. XVII ; ms. no 6.678, fol. 147, ro ; ms. {n°|16.132}}, fol. 115, coll. a et b.
  2. {sc|Nicolai Boneti}} Op. laud., lib. IV, cap. XV ; ms. no 6.678, fol. 146, ro ; ms. {n°|16.132}}, fol. 114, coll. b et c.