Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
424
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

convient d’établir entre le mouvement et le temps tels qu’ils existent dans notre esprit, et le mouvement et le temps tels qu’ils sont dans la réalité, il s’attache à tirer de ce principe des conclusions surprenantes. Nous en retiendrons deux.

Un mouvement se compose, hors de notre esprit, d’éléments dont aucun ne se laisse diviser en mouvements partiels. Chacun de ces indivisibles existe pendant un instant ; puis il cesse brusquement d’être et un autre indivisible existe à son tour pendant un instant. Aucun d’eux ne saurait avoir une durée permanente, ne saurait exister pendant un certain temps. Mais ne pourrait-il arriver que tous les indivisibles qui composent un mouvement existassent ensemble, au même instant, cas auquel le mouvement lui-même, pris en sa totalité, serait accompli d’une manière instantanée ? Bonet n’hésite pas à déclarer que cela est possible.

Mais, direz-vous, cela est impossible ; le mouvement, en effet, est un être successif ; or, dans un tel mouvement instantané, il n’y a plus de succession.

À cette objection, Bonet répond en distinguant deux significations du mot successif.

Il observe[1] qu’au sens propre, le mot succéder, lorsqu’on dit qu’une chose succède à une autre, exclut la possibilité de la coexistence. En ce sens, « lorsque je dis que des choses se succèdent l’une à l’autre, j’entends que l’affirmation de la partie suivante implique la négation de la partie précédente ; en aucun cas, les deux affirmations ne sauraient être vraies ensemble, mais l’affirmation de l’une et la négation de l’autre sont vraies ensemble. »

En ce sens, « le mot succession[2] n’exprime rien de positif qui soit surajouté aux parties qui se succèdent ; tout ce qu’il exprime, c’est que l’affirmation de l’une de ces parties est la négation de l’autre.

» Tout cela est dit au sujet de la succession proprement dite,

» Mais on emploie aussi le mot succession dans un sens moins strict et moins propre ; on entend par succession un certain ordre selon lequel certaines choses se placent les unes après les autres, soit d’une manière absolue dans l’existence, soit dans le lieu, soit encore que cette suite corresponde à une priorité d’origine, de

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. IV, cap. XIV ; ms. no 6.678, fol. 144, vo ; ms. {n°|16.132}}, fol. 113, col. b.
  2. Nicolas Bonet loc. cit., ms. no 6.678, fol. 145, ro ; ms. {n°|16.132}}, fol. 113, col. d.