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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Dans un temps donné, il y a une infinité d’instants distincts les uns des autres.

Au gré de Bonet, ces deux propositions ne portent ni l’une ni l’autre sur l’instant et sur le temps tels qu’ils sont dans la réalité extérieure à notre intelligence ; elles se rapportent toutes deux à l’existence conceptuelle du temps et de l’instant ; et alors, elles peuvent et doivent être toutes deux affirmées en même temps ; l’une rappelle comment, en notre esprit, nous engendrons une durée ; l’autre, comment nous subdivisons une durée qu’on suppose donnée.

Si Bonet se montre habile à dissiper les malentendus qui mettent aux prises les autres philosophes, il est peut-être moins heureux lorsqu’il cherche à résoudre les objections qu’on oppose à sa propre théorie du temps et du mouvement.

Cette théorie, très certainement, était déjà donnée par Gérard d’Odon ; et c’est à l’encontre de celui-ci que Jean le Chanoine raisonnait en ces termes[1] :

« Si tout continu était composé d’indivisibles, les indivisibles eux-mêmes pourraient être divisés. La conclusion est fausse ; il en est donc de même de la prémisse, si l’on prouve que le raisonnement est concluant. Or, pour rendre ceci évident, voici ce qu’il faut supposer :

» En premier lieu, dans n’importe quel temps, on peut assigner un mouvement plus rapide et un mouvement plus lent.

» En second lieu, dans un même temps, le mobile le plus vile franchit plus d’espace que le mobile le plus lent.

» En quelque temps que ce soit, l’espace franchi par le mobile le plus vite peut être dans un rapport quelconque à l’espace franchi par le mobile le plus lent. Si l’on suppose, en effet, que le premier mobile soit deux fois plus vite que le second, dans un même temps, il parcourra une longueur double ; et si la vitesse du premier est égale à celle du second dans le rapport, dans un temps égal, les longueurs parcourues seront dans le même rapport.

» Cela posé, raisonnons comme suit :

» Prenons un mobile qui soit plus vite qu’un autre dans le rapport dans un même temps, la longueur parcourue par ce

  1. Joannis Canonici Quæstiones super VIII libros physicorum Aristotelis, lib. VI, quæst. I ; éd, Venetiis, 1520, fol. 60, col. d.