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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

montrer dans le lieu, en les désignant, un : ici, et un : là ; de même peut-elle, dans le temps, montrer, en les désignant, un : jadis, un : maintenant, un : plus tard. »

Cette distinction suffit-elle à dissiper l’objection à laquelle se heurte la définition du temps donnée par Bonet comme la définition donnée par François de Mayronnes ? Il est permis d’en douter. Mais sans approfondir ce problème plus que notre auteur ne l’a fait, contentons-nous de ce qu’il nous a dit de l’instant et du temps tels qu’ils existent dans la réalité extérieure à l’esprit, et voyons maintenant ce qu’ils sont dans l’existence conceptuelle.

« En ce qui concerne son existence conceptuelle[1], l’instant (nunc) est ce qui, par son cours (fluxus) que l’esprit saisit, engendre (causat) le temps.

» En effet, lorsque l’intelligence veut engendrer la durée d’un jour, elle engendre d’abord, dans l’existence conceptuelle, un instant, en même temps qu’elle pose le premier mobile dans cette même existence conceptuelle ; puis, prenant ce mobile et l’instant avec lui, elle les transporte de l’Orient à l’Occident et les ramène de l’Occident à l’Orient : ainsi, par leurs cours, elle engendre, dans l’existence conceptuelle, la durée d’un jour. C’est alors un seul et même instant qui engendre le temps.

» Si on le considère, au contraire, selon sa quiddité et raison formelle (formaliter et ratione quidditativa), l’instant est un indivisible qui sert, de commencement et de fin à un certain [temps] divisible ; l’instant n’est plus numériquement unique ; l’intelligence, en effet, désigne un instant comme principe d’un certain temps ; et ensuite, lorsqu’il s’agit de marquer le terme de ce temps, elle ne prend pas le même instant ; elle pose, dans l’existence conceptuelle, deux instants différents ; de même le point qui est au commencement d’une ligne et celui qui est à la fin, ne sont pas le même point. Et comme, au milieu du temps en question, l’intelligence peut encore désigner un nouvel instant, et un autre instant au milieu de la moitié, et ainsi à l’infini, il y a, dans un temps donné, une infinité d’instants en puissance comme il y a, dans une ligne, une infinité de points en puissance. »

Depuis Aristote, les philosophes n’ont cessé de se partager au sujet de ces deux affirmations contradictoires :

C’est un instant unique et toujours le même qui, par son cours, engendre le temps.

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. VI, cap. II ; ms. no 6.678, fol. 160, vo ; ms. no 16.132, fol. 126, coll. c et d.