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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

simultanément l’instant, qui est le principe et le terme de ce temps… Le temps et l’instant existent ainsi d’une façon simultané. »

L’instant et le temps indivisible sont, l’un et l’autre, définis comme des rapports ; l’un de ces rapports a pour fondement, selon le langage de la Scolastique, l’état instantané, le mutatum esse ; l’autre a pour fondement l’élément indivisible du mouvement ; l’un et l’autre ont même terme, et ce terme, c’est l’éternité de la première Intelligence ; coexistence d’un état instantané à l’éternité de la première Intelligence, voilà ce qui est l’instant ; coexistence d’un élément indivisible dee mouvement à l’éternité de cette même Intelligence, tel est le temps indivisible.

Ces définitions de l’instant et du temps indivisible sont évidemment inspirées à Nicolas Bonet par François de Mayronnes, dont il a si souvent et si fortement éprouvé l’influence. Le temps, disait François de Mayronnes[1], est un rapport ; « mais ce ne peut être un rapport à l’égard d’aucune créature, car, lors même qu’il n’existerait qu’une seule créature, il y aurait un avant et un après. J’admets donc que le temps est le flux d’un état de présence (præsentialitas) à l’égard de Dieu, comme nous l’avons dit du lieu. »

Cette définition du temps, commune à François de Mayronnes et à Nicolas Bonet, se heurte à une objection difficile à résoudre. Par son éternité, Dieu est également présent à tous les mouvements, en quelque temps que ces mouvements se produisent ; pour une Intelligence éternelle, il n’y a pas de distinction entre le passé, le présent et le futur ; comment donc les diverses parties d’un mouvement peuvent-elles avoir, à l’égard de cette Intelligence, des coexistences diverses, capables de constituer la succession du temps ?

En retraçant l’histoire de la théorie du lieu, nous avons dit comment Bonet prétendait résoudre cette difficulté. À son avis[2], « la première Intelligence ne se trouve pas incluse, à titre de sujet, dans la ligne de succession du temps, car elle ne peut pas être le fondement d’une distante à un temps passé ou à un temps futur ; mais elle est peut-être le terme d’une distance comptée à partir d’un temps passé ou futur : de même, a-t-on dit, elle peut être le terme d’une distance relative au lieu et à l’ubi ; elle peut donc

  1. Francisci de Mayronis Scripta in quatuor libros Sententiarum ; lib. II, dist. XIV, quæst. XI ; éd. Venetiis, 1520, fol. 152, col. b.
  2. Nicolai Boneti Op. laud., lib. VIII, cap. VIII ; ms. no 6.678, foL 179, vo ; ms. no 16.132, col. 412, coll. b et c.