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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

ments indivisibles dont chacun se relie au suivant par un état instantané. Tout temps fini est une suite d’un nombre fini de temps indivisibles dont chacun a un instant commun avec l’indivisible suivant.

Tel est, en ses lignes essentielles, l’atomisme intégral que professait Nicolas Bonet.

Comme Jean le Chanoine, Nicolas Bonet admet que les êtres successifs sont tout autrement constitués au sein de notre esprit qu’ils ne le sont dans la réalité extérieure. Mais, sauf en cette affirmation, qui leur est commune, les doctrines de nos deux auteurs sont, pour ainsi dire, inverses l’une de l’autre. Imitateur de Damascius et de Simplicius, Jean le Chanoine place, dans la réalité extérieure à notre esprit, la continuité coulante des choses successives, du mouvement et du temps ; c’est notre esprit, et notre esprit seul, qui, dans ce flux, pratique un morcellement et met la discontinuité. Au contraire, selon Bonet, le morcellement et la discontinuité sont inhérents à la nature réelle des choses successives ; c’est seulement au sein de notre esprit, et selon leur existence conceptuelle, que le mouvement et le temps s’écoulent d’une manière continue.

N’est-il pas piquant de remarquer que le débat qui mettait aux prises, avant le milieu du xive siècle, ces deux disciples de Duns Scot, s’agite encore entre les philosophes de notre temps ? On pourrait sans injustice faire de Jean le Chanoine un précurseur de M. Bergson, tandis que Nicolas Bonet serait fondé à regarder M. Évellin comme son disciple.

De la doctrine que nous venons d’esquisser, retraçons maintenant les détails.

Voici, d’abord, quelques-uns des passages où Bonet s’explique au sujet du mouvement[1] :

« Le mouvement appartient à la catégorie de la passion ; il n’est pas autre chose qu’un rapport du mobile au moteur, ou bien un rapport du patient à l’agent, ou bien encore de ce qui est produit successivement à ce qui le produit…

» Il faut remarquer avec grand soin que le mouvement, hors de l’âme, n’est pas une réalité divisible en plusieurs parties de mouvement ; c’est une réalité négativement indivisible et qui passe soudainement (raptim transiens) ; cette réalité n’est, en effet, comme nous l’avons dit, qu’une action et une passion, qui sont des accidents indivisibles et subitement passagers.

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib, IV, cap. VIII ; ms. no 6.678, fol. 152, ro et vo ; ms. no 16.132, fol. 110, col. d, fol. 111, coll. a et b.