Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

à l’infini ? — Je vous répondrai qu’il parle là du continu qui, en puissance, est divisible à l’infini, parce qu’en dehors de ce qu’on en a déjà pris, il reste toujours quelque chose à prendre ; et cela, il le dit suivant le témoignage des sens ; à peine, en effet, peut-on, par voie naturelle, pousser la division jusqu’à ces indivisibles, de telle sorte qu’il ne reste plus rien à diviser ; cependant, en vérité, s’il était possible de diviser un continu tant qu’il est divisible, la division s’arrêterait aux indivisibles.

» Par ce qui vient d’être dit, il est clair que, dans une ligne, les points ne se suivent pas d’une manière continue et ne sont pas des continus ; toujours, entre deux points, il y a une ligne divisible ou indivisible[1].

» Il en faut dire autant de la surface et du corps ; il faut s’exprimer d’une manière semblable au sujet du temps et du mouvement

» Le mouvement, en effet, se compose de mouvements qui ne sont plus divisibles en d’autres mouvements, mais dont chacun, cependant, se laisse diviser en plusieurs réalités propres à constituer le mouvement (realitates motus). Tout mouvement, divisible ou indivisible, est toujours enfermé entre deux états instantanés (mutata esse). Il n’y a pas de mouvement divisible à l’infini ; dans un mouvement, il n’y a pas une infinité d’états instantanés ; il n’y en a qu’un nombre fini.

» Il en est de même du temps. Par accident, un temps se compose de plusieurs temps qui, eux, ne sont plus divisibles en plusieurs autres temps. Mais, par lui-même, le temps se compose de plusieurs réalités propres à le constituer (realitates temporis), dont aucune ne garde ni le nom ni la définition du temps. Un tel temps, qui ne peut plus être divisé en d’autres temps, est en acte tout entier à la fois. Il est enfermé entre deux instants (nunc). Il passe soudainement. Un autre temps indivisible lui succède ;

  1. Dans un passage de sa Théologie naturelle, Bonet, reprenant sommairement ce qui vient d’être exposé, écrit : « Vous devez vous souvenir de ce que nous avons dit en Physique (Il aurait dû dire : dans le Traité des prédicaments) au sujet du continu. Là nous avons dit que toute grandeur a pour fondement le concours de deux réalités dont aucune n’est une grandeur, mais dont chacune est quelque chose d’une grandeur. D’une telle grandeur, on dit qu’elle n’est pas divisible en plusieurs grandeurs, mais qu’elle est divisible en plusieurs réalités. La ligne est constituée par de telles grandeurs finies et indivisibles. La ligne peut donc être résolue en minima indivisibles. Ces indivisibles, je ne les appelle pas des points. Bien plus ; entre deux points, il y a une telle grandeur qui n’est pas divisible en plusieurs grandeurs, bien qu’elle soit divisible en plusieurs réalités. En voilà assez sur la division du continu, car il en a été suffisamment traité en Physique ; cherchez-y. » (Nicolai Boneti Theologia nuturalis, lib. VII, cap. XVIII ; ms. no 16.132, fol. 293, col. b).