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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

d’Ockam, à qui cette distinction était familière. Que va-t-il nous enseigner touchant la grandeur continue ?

« La grandeur continue appartient au second genre de quiddités, au genre des quiddités fondées sur le concours de plusieurs réalités ; qu’on supprime une de ces réalités, et on fera disparaître à la fois le nom et la définition du continu.

» Prenons un exemple. La ligne ou la quiddité de la ligne a pour fondement le concours de plusieurs réalités. Qu’on supprime une de ces réalités ; il ne subsiste ni nom ni définition de la ligne. Aucune de ces réalités n’est, par elle-même, la ligne, mais bien quelque chose de la ligne ; de même que le corps n’est point l’homme, mais quelque chose de l’homme.

» Démocrite n’entend point, d’ailleurs, que ces réalités dont le concours sert de fondement à la quiddité de la ligne soient des réalités de points, car son opinion coïnciderait avec celle de Platon. Il entend que ces réalités soient d’une tout autre nature et d’un tout autre ordre que des réalités de points.

» Il y a lieu de répéter des considérations semblables au sujet de la surface et du corps, en traitant chacun d’eux de la façon qui lui convient.

» Mais cette quantité continue, qui a pour fondement le concours de telles réalités d’une autre nature et d’un autre ordre qu’elle-même, elle est manifestement, dans le genre de la quantité, un individu. Il est absolument impossible de la diviser en plusieurs individus du genre quantité ; cependant, on la peut dissocier en plusieurs réalités, dont aucune n’est une quantité, mais dont chacune est une réalité partielle qui concourt à former un individu du genre quantité ; ainsi une pierre est séparable en matière et en forme, c’est-à-dire en deux réalités dont aucune n’est une pierre.

» Cette quantité continue, résultante de réalités qui, elles, ne sont plus divisibles en plusieurs réalités, il est clair qu’elle a deux extrémités (ultima) qui sont deux points en acte ; elle est enfermée entre eux comme entre des bornes propres.

» Cette quantité peut être mise en continuité avec une autre, je veux dire avec une autre quantité indivisible, pourvu que les extrémités de ces deux quantités deviennent une seule chose indivise. Alors, ces deux quantités indivisibles se toucheront suivant quelque chose qui leur appartient (aliquid sui). suivant une même réalité ; mais elles ne se toucheront pas l’une l’autre en leur totalité, parce qu’elles ne sont pas simplement deux réalités.

» La troisième quantité, celle qui résulte de ces deux quantités