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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

l’a pas formulé. Son contemporain Nicole Oresme a été plus explicite : « Comme le Ciel peut estre arresté ou temps de Josué, écrit-il[1], ou estre retourné ou temps du roy Ezéchie, semblablement porroit estre son mouvement avancé ou retardé se il plaisoit à Dieu.

» Et est certain que si le mouvement du Ciel estait plus ysnel[2] ou plus tardif au double, ou plus combien que fust, et tous les autres movernens et altéracions de cy bas, des quelx il est cause selon Aristote, estaient semblablement plus ysnels ou plus tardis, nul ne porroit appercevoir cette mutation, mes semblerait comme maintenant selon apparence humaine. »

Ce n’est donc pas la perception sensible qui nous avertit que tel mouvement, que le mouvement du Ciel par exemple, est un mouvement uniforme. Comment donc le pouvons-nous savoir ? Par la raison, par la Science physique qui nous enseigne qu’aucune cause n’intervient pour accroître ou diminuer le flux successif qui constitue le mouvement local de tel corps.

C’est leur croyance à la divinité des corps célestes qui assurait les Pythagoriciens de l’uniformité de la rotation de ces corps ; cette même assurance, Aristote la déduisait du caractère inaltérable de la cinquième essence ; à leur tour, Buridan et Albert de Saxe la demanderont à des raisons tirées de leur Physique — nous dirions aujourd’hui de leur Dynamique. Mais pas plus qu’Aristote ou Averroès, pas plus que Guillaume d’Ockam ou Walter Burley, Jean Buridan et ses disciples n’ont eu l’intention de professer que l’homme eût le droit de choisir arbitrairement, sans autre guide que sa commodité, le mouvement auquel il lui conviendrait de donner le nom de temps.


XIII
L’atomisme de Gérard d’Odon et de Nicolas Bonet


Que le temps unique au moyen duquel tous les mouvements sont mesurés soit sinon un temps conventionnel, du moins un pur concept mathématique, abstrait de toute réalité, il s’est trouvé un philosophe qui, au xive siècle, l’a affirmé plus nettement que

  1. Nicole Oresme, Le livre du ciel et du monde ; secont livre ; ou xiiii chapitre, il monstre que le mouvement du ciel est régulier par trois autres raisons. Bibl. nat., fonds français, ms. no 1.083, fol. 68, col. a et b.
  2. Ysnel = vite, rapide.