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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Tenons pour certain qu’aucune vérité géométrique ne requiert hors de l’âme l’existence de points ou d’invisibles quels qu’ils soient ; quiconque est instruit en cette science le voit bien clairement ; le géomètre use cependant de telles fictions afin que l’on comprenne mieux par ce moyen la vérité qu’il a l’intention de démontrer. »

Nul, plus que Jean Buridan, n’a rigoureusement et complètement exposé, au sujet des indivisibles, la doctrine d’Ockam.

« Nous accorderions, dit Buridan[1] que les surfaces sont aux corps ce que les lignes sont aux surfaces et ce que les points sont aux lignes ; si donc, en une ligne, on n’a pas à admettre de points indivisibles, on n’aura pas non plus, en une surface, à admettre de lignes non divisibles selon la largeur ni, en un corps, de surfaces indivisibles selon la profondeur. »

Cela posé tout l’effort de notre auteur va à démontrer, par une argumentation imitée de Guillaume d’Ockam, qu’en une ligne, on ne doit pas dmettre de points indivisibles ; qu’on ne doit pas, en particulier, supposer qu’une ligne se termine par deux points qui soient deux choses indivisibles extrinsèques à cette ligne. Il formule alors cette conclusion[2] :

« Les points sont des choses divisibles, car ils sont et ne sont pas indivisibles ; ils sont donc divisibles, il en résulte également que les lignes sont divisibles en largeur et les surfaces en profondeur. Il en résulte, enfin, que les surfaces sont des corps, car tout ce qui est divisible en longueur, largeur et profondeur est corps ; et aussi que la ligne est une surface et que le point est une ligne ; et partant, il s’ensuit que tout point est un corps. »

Que ce langage ne nous étonne pas ; celui qui nous parle est un physicien, et il nous parle de réalités, de choses qui sont en la matière ; tout à l’heure, nous entendrons le géomètre nous parler à son tour ; pour le moment, c’est des points réels, des points physiques qu’il continue d’être question.

C’est au sujet de réalités physiques donc et non pas d’abstractions géométriques, qu’est formulée la conclusion suivante[3] :

« Tout point est partie de ligne… ; toute ligne est partie de surface… ; toute surface est partie de corps… Une surface, en effet, est ainsi nommée parce qu’elle est le terme d’un corps ; une ligne,

  1. Johannis Buridani Quæstiones super octo Physicorum libros Aristotelis ; lib. VI, quæst, IV, fol. XCVI, col. c.
  2. Jean Buridan loc. cit., fol. XCVII, col. a.
  3. Jean Buridan, loc. cit., fol. XCVII, coll. a et b.