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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

En énumérant les caractères que doit posséder une mesure, Albert a soin de déclarer qu’elle doit être « invariable ». Le mouvement du Ciel sera le temps « principalissime », parce qu’il porte toutes les marques d’une bonne mesure et, en particulier, « parce qu’il est régulier ». Notre auteur remarque, d’ailleurs, comme son maître Buridan, que « pour le commun des hommes, c’est surtout le mouvement du Soleil qui est appelé temps, parce que c’est celui qui leur est le mieux connu. » Il ajoute que « certains appellent temps le mouvement de la Lune, car ils distinguent le temps par années lunaires, en sorte que pour eux, le temps, c’est le mouvement de la Lune… De tout cela, on peut conclure que le temps n’est dit, de manière principalissime, que du seul mouvement local diurne ; mais, d’une manière moins principale, on peut bien appeler temps n’importe quel mouvement par lequel nous mesurons les autres mouvements, le mouvement d’une horloge par exemple. »

Marsile d’Inghen, renchérissant sur ce qu’avaient dit ses maîtres, professe, dans son Abrégé de Physique[1], que le temps le plus proprement dit, c’est le mouvement du Soleil, parce que c’est le mouvement le plus connu. Il se fait bien, à lui-même, cette objection que le mouvement du Soleil « est moins régulier que le mouvement diurne, à cause de l’obliquité du Zodiaque et de l’excentricité de la sphère solaire. » Mais il répond « que l’irrégularité du mouvement solaire est de peu d’importance, car les jours naturels sont, tous, presque égaux entre eux, sans différence sensible ; cette différence, donc, n’empêche pas qu’ils ne servent de mesure, car la mesure du mouvement par le temps n’est pas une mesure ponctuellement exacte, mais seulement une mesure approchée, dont la différence soit insensible. »

Parmi les Questions sur la Physique que Marsile d’Inghen a composées selon la méthode des Nominalistes, il en est une[2] qui est ainsi formulée : « Le temps est-il le mouvement du Ciel ? »

Cette question s’inspire, d’une manière évidente, de la question correspondante d’Albert de Saxe. Marsile déclare fort nettement que « tout mouvement connaissable à un homme est un temps… Si l’on demande, par exemple, combien de temps la leçon a duré, l’un répondra : Le temps de faire deux lieues ; en sorte que le mouvement de progression sera pour lui la mesure de cette durée.

  1. Abbreviationes libri phisicorum édite a Marsilio Inguen, fol. sign. f, col. c et d.
  2. Questiones Johannis Marcilii Inguen super octo libros Physicorumn secundum nominalium viam ; lib. IV, quæst. XVI.