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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

inverse ; c’est ainsi que la Science du propter quid est supérieure à la Science du quia. En outre, la mesure doit être régulière, et le premier mouvement est, dans sa succession, le plus régulier ; le premier mobile, ne se meut ni plus vite ni plus lentement aujourd’hui qu’hier… Enfin, cela est manifesté par les astronomes qui, dans la mesure des mouvements recourent finalement au premier mouvement comme à la mesure première et la plus proprement dite des autres mouvements… »

« Si donc on prend ce mot temps de la manière la plus propre, on doit dire que le temps, c’est le premier mouvement ; mais de cette acception, ce sont les astronomes seuls, et non pas le commun des hommes, qui font usage ; ce n’est pas l’effet d’une connaissance sensible, mais à la suite d’un raisonnement intellectuel, qu’ils se servent de ce mouvement en guise de temps dans leurs calculs, lorsqu’ils veulent connaître la situation que les étoiles occupent soit les unes par rapport aux autres, soit par rapport à nous. Quant aux autres hommes, bien qu’ils voient ce mouvement, ils se servent en manière de temps d’autres mouvements connus par les sens ou l’imagination. »

« Pour le commun des hommes, le mouvement du Soleil, composé du mouvement propre de cet astre et du mouvement diurne, est appelé temps plus proprement que les autres mouvements Ce mouvement-là, en effet, est celui qui est le mieux connu du commun des hommes, car il est le plus apparent au sens, tandis qu’ils ne connaissent pas le mouvement diurne simple, séparé du mouvement propre, en sorte qu’ils n’en peuvent faire usage pour mesurer…

» Parfois, les ouvriers des arts mécaniques se servent de leur travail comme du mouvement qui définit le temps, parce que la grandeur de l’œuvre qu’ils accomplissent leur étant, du fait de l’habitude, fort bien connue, ils mesurent souvent les autres mouvements par le moyen de cet ouvrage ; alors même qu’ils ne voient pas le Soleil, de la quantité d’ouvrage qu’ils ont accomplie, ils concluent qu’il est trois heures et qu’il est temps de manger.

» En manière de temps, les ecclésiastiques font usage d’une horloge ; mais ce n’est pas proprement un temps, car il a fallu d’abord que le mouvement de l’horloge fût mesuré au moyen du mouvement du Soleil. »

Ces pensées de Buridan sont reprises par Albert de Saxe[1].

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de physica Auscultatione, lib. IV, quæst. XIV, art. 3.