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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

cessif qui lui est particulier et un temps qui lui est également particulier.

Qu’à tout mouvement corresponde un temps, on en a, d’ailleurs, la certitude par le raisonnement suivant :

« Il ne peut y avoir un mouvement sans qu’il existe d’une manière positive un temps qui en soit la mesure ; cela est évident à quiconque philosophe, car tout mouvement est mesuré par le temps ; mais si le premier mobile s’arrêtait, de telle façon que le temps premier s’arrêtât et cessât d’exister (car il prend fin avec le mouvement auquel il correspond), il pourrait encore se produire ici-bas quelque mouvement ; il faudrait que ce mouvement fût mesuré par un temps, mais il ne peut l’être par le temps premier puisque, par hypothèse, celui-ci n’est plus ; il faut donc qu’il soit mesuré par un temps qui lui soit propre. »

Averroès nierait cette mineure : Si le premier mobile s’arrêtait, il pourrait encore se produire ici-bas quelque mouvement. Aussi Jean le Chanoine la prouve-t-il par l’Écriture et par la raison : « Par l’Écriture, d’abord : Dans Josué, dit-il, on voit clairement et à la lettre que la roue du potier peut continuer de tourner alors même que le Ciel s’arrêterait. Par la raison, ensuite : Dieu peut produire l’une sans l’autre deux choses essentiellement différentes dont l’une ne dépend pas de l’autre ; or ces deux mouvements sont tels. Averroès, il est vrai, rejetterait ces deux raisons. Dans la théorie du temps comme partout, il y a antagonisme entre la doctrine catholique et la philosophie péripatéticienne. Saint Augustin avait bien reconnu qu’au sujet du temps, cet antagonisme est irréductible ; ce sont les exemples mêmes cités par l’Évêque d’Hippone que Jean le Chanoine invoque ici.

L’idée que chaque mouvement peut être pris, si l’on veut, pour marquer le temps avec lequel on mesurera les autres mouvements se perçoit à peine dans l’enseignement de Jean le Chanoine ; elle se déclare plus nettement dans la doctrine de Walter Burley.

« Il y a, dit celui-ci[1], quatre manières de concevoir le temps : La manière commune, la manière propre, la manière plus propre, enfin la manière la plus propre.

» Pris à la manière commune, le temps est une durée ayant un avant et un après ; et cela est commun aux durées de tous les mouvements, à la durée du mouvement local, à la durée du mou-

  1. Burleus Super octo libros physicorum, lib. IV, tract. III, cap. II ; éd. Venetiis, 1491, 116 fol., col. b et c.