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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

opposées sont réellement distinctes. Mais il en est ainsi du temps et du mouvement, car on dit du mouvement qu’il est vite ou lent, et du temps non. »

La réponse de François d’Ascoli est fort concise, mais tous les mots, croyons-nous, méritent d’y être pesés :

» Le temps n’est ni vite ni lent parce que le mouvement qui est le temps même, c’est-à-dire le mouvement du premier mobile, n’est, lui non plus, ni vite ni lent ; il est régulier et uniforme, encore qu’il pourrait être plus vite ou plus lent. Ce mouvement, en effet, esl appelé temps parce que c’est lui qui mesure les autres mouvements ; donc, en tant qu’il joue le rôle de temps, il n’est dit ni vite ni lent ; quant aux autres mouvements inférieurs, comme ils ne comportent pas ce rôle de mesure, ils sont dits plus lents ou plus vit es. — Dico quod tempus non est velox nec tardum[1] quia nec motus qui est ipsum tempus est velox et tardus, scilicel qui est motus primi mobilis ; sed est regularis et uniformis, licet posset esse velocior et tordior ; quia[2] humus modi motus dicitur tempus ut est mensurans alios motus inferiores ; ideo, ut habet rationem temporis, non dicitur velox vel tardus ; alii autem motus inferiores, quia sic non dicunt rationem mensure, ideo dicuntur tardiores vel velociores. »

Nous méprendrions-nous sur le sens de ce passage ? Il nous semble, cependant, qu’il est fort clair et qu’il affirme ceci :

Si nous prenons le mouvement diurne du premier mobile pour marquer le temps, c’est-à-dire pour mesurer les autres mouvements, ce n’est pas que nous sachions par ailleurs que ce mouvement est régulier et uniforme. Nous n’en savons rien, et peu nous en chaut ; il pourrait être tantôt plus vite et tantôt plus lent, nous n’en aurions pas moins la faculté de le prendre comme horloge. Et dès là qu’il a été pris comme horloge, il est régulier et uniforme par définition. On ne peut plus dire de lui qu’il est lent ou vite ; ces mots n’ont aucun sens pour le mouvement qui sert à mesurer les autres mouvements. Ces mots : lent, et : vite, ont au contraire un sens, ils peuvent être employés lorsqu’on parle de mouvements qui ne jouent pas le rôle de mesure.

Si tel est bien le sens du passage que nous venons de rapporter — et nous ne voyons pas qu’une autre signification lui puisse être attribuée — François de la Marche a formellement énoncé une vérité que Guillaume d’Ockam avait peut-être soupçonnée, mais dont il s’était détourné.

  1. Le ms. porte : tardus.
  2. Le ms. porte : quin.